Les réprouvés de la planète !


par  J. DUBOIN
Publication : 19 juin 1939
Mise en ligne : 14 juillet 2006

  Sommaire  

La terre donne aux hommes des récoltes comme ils n’en ont jamais espérées ; à aucun moment, ces mêmes hommes n’ont été capables de créer autant de richesses avec aussi peu de peine ; jamais l’humanité n’a donc été aussi riche qu’aujourd’hui.

L’âge d’or devrait régner, puisque les moyens dont nous disposons sont plus que suffisants pour assurer un large bien-être à tous !

Au contraire, la misère étend ses ravages, des malheureux souffrent de la faim, et voilà que d’autres sont chassés de partout comme des indésirables.

Des trains entiers remplis de réfugiés stationnent dans certaines garés à la limite politique des États. On se refuse d’accueillir ces déshérités ; ailleurs, on les parque dans des camps retranchés où ils sont moins tien traités que bétail à la foire ; ailleurs, c’est un navire chargé d’un millier d’israélites qui, vainement, cherche à débarquer ses passagers, mais aucun port ne consent à ce qu’ils descendent à terre.

Ce sont des réprouvés, ce sont des travailleurs ! Dans un monde où de sinistres farceurs vantent encore la sainteté du travail, toutes les frontières sont fermées aux hommes qui offrent leur intelligence ou leurs bras ; le travailleur est devenu le concurrent, le travailleur, c’est l’ennemi !

 

POURQUOI ces horreurs ? Parce que le travail devient moins nécessaire ; parce qu’il est maintenant une denrée rare que les hommes se disputent comme les chiens se battent quand un seul os est à leur disposition.

 

Nous devenons, pour nos contemporains, de véritables monstres, des êtres inférieurs à ce que nous osons appeler nos frères inférieurs : car jamais un singe n’a eu l’idée de faire faire ta grande penitence à ses petits sous prétexte que les noix de coco étaient trop abondantes ; jamais un ours n’a pourchassé ses congénères sous prétexte que les cavernes sont trop nombreuses.

Le travailleur, c’est l’ennemi ! Je le répète, puisqu’aucun pays n’accepte plus de le recevoir sur son sol. Qu’on refuse des bouches inutiles en période de disette, c’est compréhensible, mais avoir le front de refuser des travailleurs alors qu’on se plaint de traverser des temps difficiles et qu’on répète à satiété qu’il faut produire, n’est-ce pas le dernier mot de l’hypocrisie ?

Et de quel droit les hommes qui, aujourd’hui, prétendent posséder la Terre, en élimineraient-ils d’autres hommes en leur refusant la possibilité de travailler pour vivre ?

De sorte que si, demain, Jésus-Christ revenait parmi nous, il serait encore plus mal reçu que la première

fois, puisqu’on ne le recevrait plus du tout. On lui refuserait sa carte de séjour et le ministre de l’Intérieur le ferait refouler à la frontière.

 

0Ul, pourquoi toutes ces horreurs ? Parce, qu’on s’entête à conserver un régime social qui est capable de tout produire, mais sera bientôt incapable de rien distribuer.

Alors les gens à qui le régime donne encore des revenus prétendent limiter à leur petit nombre la population énorme que leur pays pourrait faire vivre et bien vivre.

Un exemple pris au hasard. Voici le Canada que leurs Majestés Britanniques sont allées visiter ces jours-ci, Quel est le spectacle qui leur a été offert ? Celui d’un pays qui est aussi grand que l’Europe, aussi riche que les Etats-Unis et qui pourrait, au bas mot, faire vivre deux cents millions, d’êtres humains. Je n’exagère en rien, car cet immense pays n’est pas seulement d’une richesse extrême, il est encore complètement équipé au sens moderne du mot. N’avez-vous jamais entendu parler de la province de Québec, aussi grande que la France, qu’arrose et fertilise le Saint-Laurent, et de la magnifique province d’Ontario et des terres noires du Manitoba qui peuvent fournir du blé en quantité astronomique, et des régions plantureuses de l’Alberta et du Saskatchewan avec leurs ranches et leurs troupeaux innombrables, et des vergers gigantesques de la Colombie Britannique et des richesses minières inépuisables, et des réserves forestières du Nord qui sont les plus riches du monde ? Trois lignes transcontinentales vous transportent en plusieurs jours de l’Atlantique au Pacifique à travers les pays les plus divers et d’une fertilité exceptionnelle. Ce sont des immigrants européens qui ont tout défriché, tout mis en valeur. Ils ont construit un outillage de premier ordre et de grandes et belles villes modernes comme Québec, Montréal, Toronto, Winnipeg. Je répète que le Canada pourrait nourrir deux cents millions d’habitants. Eh bien ! sa population actuelle pourrait presque tenir dans la ville de Londres ! Le Canada, dont la superficie est de plus de 9 millions de kilomètres carrés, compte 1 habitant virgule 15 au kilomètre carré. Est-ce imaginable ?

Tout simplement parce que le Canada ne veut pas un être humain de plus. Il a cadenassé sa frontière à tous les immigrants, bien qu’iIs édifièrent sa fortune. Le Canada a un équipement qui pourrait produire pour les besoins d’une population vingt fois supérieure mais comme cet équipement ne crée de revenus qu’à onze millions d’habitants, on refuse d’en recevoir un de plus ! Pensez donc, on ne réussit pas à vendre tout ce qu’on produit et on compte déjà des chômeurs !

 

CE que je dis du Canada est encore vrai pour l’immense Australie qui n’a guère que dix millions d’habitants. J’en pourrais dire autant du Brésil, de l’Argentine et de bien d’autres pays qui nourriraient facilement une population cinq à dix foie supérieure à la leur ; je pourrais le dire de notre Empire français, des colonies hollandaises, du Congo belge, des anciennes colonies allemandes et de bien d’autres pays, y compris le nôtre !

Souvenez-vous donc que les hommes n’ont encore tiré parti jusqu’ici - et un parti très faible
- que du sol le plus facile à cultiver. Les plus belles terres, les plus fertiles, celles capables de fournir chaque année plusieurs récoltes superbes sont encore presque à l’état de nature. L’homme d’autrefois ne disposait pas des moyens puissants qui sont nécessaires pour lutter contre l’exubérance des terrains semi-tropicaux ; or, l’exubérance de la végétation, c’est la fertilité ! La centième partie du globe terrestre, entendez-vous bien, est à peine convenablement exploitée. Par le drainage, l’irrigation, l’emploi judicieux des engrais corrigeant l’insuffisance des éléments du sol, la sélection des semences, or augmenterait prodigieusement le rendement de la plupart des terres.

Tout cela est possible. Mais, dans le régime actuel, la production ne solvabilise que les besoins d’une minorité. Alors, à la porte les travailleurs ! Gardons ce qui nous est nécessaire, et détruisons le reste !

 

A dire la vérité, un vent de folie furieuse souffle sur le monde, ou, plus exactement, nos contemporains apparaissent comme totalement abrutis. Et cependant, chacun aurait à se donner infiniment moins de peine pour assurer le bien-être de tous, qu’il en prend pour conserver une situation infiniment précaire. Rien n’y fait, l’homme a tellement peur de la nouveauté en matière sociale, il a une venette si intense de l’abondance, qu’il n’ose utiliser l’outillage fantastique dont il dispose que pour des œuvres de mort !

 

Désolidarisons-nous, au plus vite, d’un régime qui oblige tous ces gens à marcher comme des somnambules, indifférents au spectacle de la misère qui monte, et sans soupçonner l’abîme qui s’ouvre sous leurs pas.

Et intensifions la propagande pendant qu’il en est temps encore !


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