Une arme contre le chômage, l’armement

DOSSIER : LE CHOMAGE
par  J.-P. MON
Publication : juin 1977
Mise en ligne : 19 mars 2008

NOS lecteurs savent depuis fort longtemps que dans les pays industrialisés le progrès scientifique et technologique a pour conséquence inéluctable l’augmentation du chômage. Tout se passe pour nos brillants économistes comme si nous venions à peine d’être chassés du Paradis Terrestre, et que nous soyions encore soumis à la malédiction : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ».
Comme depuis ce temps là un certain nombre d’outils d’abord, de machines ensuite, ont permis à l’homme de produire avec moins de peine, les soidisant scientifiques que sont les économistes ont cherché par tous les moyens à justifier et à péréniser la fameuse malédiction divine.
Refusant de répondre à la question maintes fois posée  : « Est-ce que les machines sont faites pour produire des biens ou pour donner du travail aux hommes ? », ils imaginent les solutions les plus farfelues.
C’est ainsi par exemple, que dans les années 30, en Irlande, on faisait creuser des trous, construire des tours avec les pierres qu’on en retirait, et le lendemain on faisait détruire ces tours et combler les trous. Le tout afin de justifier les salaires versés à ces terrassiers d’un genre nouveau. Les exemples absurdes ne manquent pas, mais en ce dernier quart de siècle, on fait les choses de manière un peu moins voyante : on développe le secteur tertiaire, c’est-à-dire le secteur des services. Des services, certes, il en faut, mais jusqu’à un certain point. C’est ainsi que pour justifier l’emploi des gratte-papiers de tous niveaux hiérarchiques, on met en place une réglementation paperassière, incompréhensible et le plus souvent inutile, voire nuisible.
Mais cela ne suffit pas, et, surtout, cela ne crée pas toujours du profit. Alors on a imaginé de fabriquer des armes.

LA fabrication des armes présente des tas d’avantages :
- sauf exception, on ne les vend pas à des particuliers mais à des gouvernements (et chacun sait que pour acheter des armes, un gouvernement trouve toujours les finances nécessaires, les

pays exportateurs accordant au besoin les crédits demandés...)  ;
- les armes se démodent vite et il faut, c’est bien connu, toujours suivre la mode sous peine d’être mal considéré (mal défendu, diraient en l’occurence les militaires). Alors on est bien forcé d’acquérir ce qu’il y a de plus nouveau ;
- une petite guerre, de préférence par pays sous-développés interposés, permet en général de réduire considérablement les stocks...
Ces avantages sont tels que la fabrication des armements est un des rares secteurs de production à ne pas être touché par les aléas de la conjoncture. Dans ce domaine, ce sont les acheteurs qui attendent le bon vouloir des vendeurs. L’économie rêvée, quoi !
Il n’est donc pas surprenant que dans les pays dont le niveau technologique est suffisamment élevé pour permettre la fabrication d’armements très sophistiqués (U.S.A., U.R.S.S., Grande-Bretagne, République Fédérale Allemande, France), le secteur de la fabrication des armements joue un rôle moteur dans l’économie.
Aux Etats-Unis, l’économie militaire réalise un chiffre d’affaires équivalent à celui de Esso-Standard, General Motors, Ford, Royal Deutch, Shell, Dupont de Nemours et Kodak réunis.
En U.R.S.S., comme aux Etats-Unis, un citoyen sur cinq vit directement ou indirectement de la production militaire.
En Allemagne, où la fabrication des avions occupe plus de 200 000 personnes mais où l’exportation directe reste, pour le moment, relativement faible par suite de la volonté du gouvernement d’éviter que ce secteur devienne un groupe de pression trop influent sur la politique gouvernementale, les syndicats exigent de plus en plus que des facilités soient accordées aux industries de l’armement pour favoriser leur production et par là même assurer un haut niveau d’emploi.
En France, l’emploi dans ce secteur représente environ 280 000 personnes et les pourcentages de fabrication de matériels militaires dans les exportations sont respectivement de 90 % pour Dassault, 79  % pour la SNECMA, 60 % pour la Thomson-CSF, 85 % pour Matra, 79 % pour la SNIAS, (1) ...

ON conçoit donc facilement que sans la fabrication des armements, il y aurait dans les nations industrialisées des centaines de milliers de chômeurs supplémentaires.
Mais peut-être alors l’économie prendrait-elle, dans son ensemble, un autre tour ?
Lorsqu’on sait, en effet, que le coût d’un nouveau bombardier, avec son équipement complet équivaut au salaire de 250 000 instituteurs pendant un an ou à 75 hôpitaux complètement équipés ou encore à 30 facultés des sciences comptant 1 000 étudiants chacune (2), on peut facilement imaginer ce que pourrait être une société dans laquelle les crédits destinés à la production et à l’achat des armements seraient utilisés pour améliorer les conditions de vie des populations et l’on conçoit du même coup que l’économie distributive de l’abondance n’est plus une utopie.
Alors aussi deviendraient crédibles les propos tenus à la Conférence générale de l’UNESCO de 1974 selon lesquels : « La paix ne saurait être uniquement l’absence de conflit armé. Elle implique essentiellement un processus de progrès, de justice et de respect mutuel entre les peuples visant à garantir la construction d’une société internationale dans laquelle chacun trouverait sa véritable place et aurait sa part des ressources intellectuelles et matérielles du monde  ».
Malheureusement le sentiment nationaliste continue à être exploité de manière éhontée par les capitalistes de tous bords qui, cyniquement, n’hésitent pas, afin d’augmenter leurs profits, à s’associer, pour produire des armes modernes sur une base multinationale.
Dans le domaine de la fabrication des armements, il s’effectue ainsi un dangereux transfert technologique des pays traditionnellement producteurs vers des pays qui ne sont encore qu’importateurs. Il en résulte un développement de la course aux armements et, par là-même, un accroissement considérable du risque de guerre.
Comme le souligne très justement L. LAMMERS (1) « Tout se passe comme si chacun était content de travailler à l’organisation de sa propre destruction. En tout cas, cela apparait à beaucoup préférable à la perte de leur emploi !! ».
Pour nous il n’y a pas de doute, la seule solution possible consiste à abandonner totalement l’économie de marché.

(1) « Energies » n° 1069, du 8 avril 1977.
(2) « Le Courrier de l’UNESCO », mars 1977.


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