Consommateurs de tous les pays unissez-vous !

(suite)

par  R. MARLIN
Publication : juin 1987
Mise en ligne : 20 juillet 2009

UNE grande partie de la publication que nous analysons est consacrée aux nouvelles façons d’acheter (1) "Un téléphone, un téléviseur (raccordé au câble) et une carte de crédit, c’est ainsi que les Français réaliseront dès 1995 près de 25 de leurs achats à domicile". Un analyste financier a chiffré à deux milliards de dollars le total des ventes ainsi réalisées aux Etats-Unis en 1987. Certains grands magasins, comme le Printemps, sont réticents et préféreraient continuer à attirer la clientèle dans leurs locaux. L’on peut se demander en effet, aussi, si la vie en société ne souffrira pas de cette nouvelle "intériorisation" des activités. Quoiqu’il en soit, la technique est prête afin de remplacer les catalogues par des vidéodisques ou vidéocassettes et pour la commande au téléphone, par synthèse vocale. L’essayage électronique qui permet à la cliente de se voir, sur son téléviseur, habillée d’une robe ou d’un tailleur préalablement choisi sur vidéocassette, est également au point.

Paiements et gratuité

Quant aux moyens de paiement, ils seront, nous le savons, électroniques. La carte à puce existe chez Bull. En Norvège, son usage sera généralisé dès 1990. En France, la région de Rennes sert de banc d’essai. Vous pourrez consulter en permanence le relevé de votre compte en introduisant votre carte dans le lecteur de votre Minitel, régler vos achats, téléphone, etc... La sécurité des échanges sera accrue, par rapport à la carte actuelle, car elle serait, paraît-il, non reproductible et inviolable. Le rédacteur de "Que Choisir  ?" se permet d’ajouter : "Mais attention : imaginer la gratuité de tous ces services tient du rêve". C’est qu’en effet, le porteur de carte pourrait avoir la tentation de penser que son crédit est illimité ; d’où le danger (pour le régime) qui fait peut-être que la carte à puce, pourtant au point, ne se généralise pas encore. Mais aussi qui paiera les lecteurs de cartes dont les commerçants, même tout petits, devront s’équiper ? Restons tout de même bien convaincus que ce nouveau progrès technique rendra plus facile le passage à la monnaie distributive non thésaurisable et s’éteignant à la première transaction. Sachons aussi qu’elle facilitera, même si cela semble un rêve pour le journaliste, la gratuité d’un certain nombre de produits et de services abondants, transports urbains, eau, pain, éclairage domestique, etc...

La publicité

Mme Scrivener, pourtant ancien ministre, paraît bien naïve lorsqu’elle écrit : "...Il faut se réjouir de la publicité comparative sur les prix réalisée il y a quelque temps par la grande distribution...". Ne sait-elle pas - elle devait lire "Que Choisir ?" - que la grande distribution en question, piège les comparaisons par un choix d’articles à prix spécialement manipulés pour l’occasion et qui n’ont rien à voir avec le niveau d’ensemble de ceux du magasin ou du panier de la ménagère ? Elle est bien candide lorsqu’elle prétend : "...Dans une réelle économie de marché, les consommateurs se verront, encore plus qu’avant, sollicités par la publicité. Chacun sait que la publicité fait vendre et celle-ci deviendra plus intelligente encore pour atteindre les désirs secrets des consommateurs. Au consommateur, alors, de se créer un comportement plus responsable, de ne pas se laisser prendre lorsqu’il sent que la publicité est douteuse, car malheureusement cela peut toujours arriver malgré la loi, à juste titre sévère, sur la publicité trompeuse et mensongère. Mais là aussi, les. publicitaires sérieux n’ont nul avantage à abuser le consommateur". N’a-t-elle jamais vu de publicité pour clamer cela ? N’a-t-elle pas remarqué qu’à la différence de l’information du consommateur qui est acceptable, la publicité a justement pour but de duper le client afin qu’il achète à tout prix ?...

Santé et solvabilité.

Dans le domaine des médicaments, la recherche par tâtonnement est révolue et remplacée par l’analyse systématique des cellules à soigner et de leurs interactions. L’activité des nouveaux produits est moins globale et mieux ciblée (médicaments en timbres), les quantités peuvent être réduites. Les nouveaux analgésiques sont à notre porte, on atrophie les fibromes ; les laboratoires se déplacent dans l’espace pour accroître la pureté des préparations. Demain, le vaccin synthétique va apparaître. Le génie génétique a permis la production de deux vaccins contre l’hépatite B. "Quant aux maladies parasitaires (qui affectent surtout le tiersmonde), déclare un responsable de l’Institut Pasteur, il faut bien dire qu’aucun grand laboratoire n’est incité à consacrer suffisamment d’argent à la reherche pour les prévenir". Malgré le nombre colossal des humains concernés par ces maladies (300 millions pour la lèpre), précise l’auteur de l’article, le marché est jugé peu porteur. Les pays concernés par ces maladies sont très pauvres, surendettés. Et si demain une prévention devenait possible, qu’adviendrait-il de leur démographie ? Aussi choquant que cela puisse paraître, hélas, de continuer à peser sur le futur des recherches vaccinales".

Il n’y a rien là de surprenant pour ceux qui, comme nous, savent depuis longtemps qu’en système capitaliste, toute activité doit être rentable, donc. ne sera financée que si elle peut être vendue à des acquéreurs solvables. Les habitants du tiers-monde continueront à souffrir des affres de la lèpre tant qu’ils ne constitueront pas un marché financièrement intéressant, ce que ne réalise pas probablement la fondation Raoul Follereau ? Laissons-la donc se dévouer en vain !

Les loisirs.

Le loisir se résume en deux chiffres : les européens lui consacrent 220 milliards de francs par an. D’autre part, l’homme qui passait 26,4 % de son existence à travailler passe actuellement 9,9 % de sa vie à des activités contraintes et cette proportion diminuera avec la semaine de 35 heures généralisée.

L’automobile de l’an 2000, en dehors de son profil aérodynamique, aura un tableau de bord avec radar anti-collision, lecteur de compact-disc et système de navigation par satellite. Elle sera plus sobre et moins polluante que notre voiture actuelle par utilisation de carburant sans plomb et pot d’échappement électrolytique. Le véhicule électrique sera limité aux utilisations urbaines ou à faible moyen d’action.

Quant aux grands parcs d’attraction dont la prolifération américaine va gagner l’Europe, leur fréquentation semble avoir atteint son plafond.
Les vacances se scinderont en plusieurs parties ; elles seront plus culturelles et plus actives. Les membres du Club Méditerranée, pionniers en la matière, séjourneront dans une station orbitale spécialement conçue à cet effet.

L’Europe

"Que choisir ?" publie enfin, en partie, le manifeste du Bureau Européen des Associations de Consommateurs (B.E.U.C.) qui réclame notamment :

- l’abolition des frontières internes à l’Europe pour la circulation des produits et la suppression des entraves techniques aux échanges,
- une loi européenne sur la sécurité. Actuellement les accidents domestiques font 30 000 morts et 50 millions de blessés par an dans la C.E.E.
- un vrai marché commun des médicaments au service des patients et non de l’industrie pharmaceutique. Un même médicament se vend à présent 5 fois plus cher dans certains pays que dans d’autres.
- une réforme de la politique agricole commune "La lutte contre les excédents de fruits et légumes et de beurre devant être poursuivie dans le respect des objectifs sociaux et de l’environnement de chaque zone de production",
- la création d’une banque de données sur les prix, etc...

L’avis d’un sociologue

Reproduisons pour terminer quelques phrases du sociologue Joffre Dumazedier auteur, en 1962, d’un ouvrage intitulé "Vers une civilisation des loisirs". L’on verra
que ses idées ne sont pas sans rapport avec les nôtres.
"...Personne n’aborde le phénomène des loisirs comme il conviendrait. La société libérale fait confiance au commerce, c’est-àdire à une dynamique marchande, alors-qu’une civilisation se construit sur les valeurs... ".
"...Personnellement, je n’ai jamais lié le loisir et la prospérité. La valorisation des loisirs est un phénomène beaucoup plus profond. C’est une véritable révolution culturelle. La dernière grande enquête de la SOFRES sur ce sujet montre que les trois quarts des travailleurs s’intéressent prioritairement aux activités hors professionnelles... ".
"...Ceux qui pensent que nous y viendrons (à la fusion du temps, de travail et du temps de loisirs) se trompent !... Le travail est un temps contraint, l’a été et le restera. Et rien, ni personne ne changera cette évidence...".

Consommateurs et distributistes

Même si ces thèses sont discutables, même si les idées de l’UFC sur la gratuité possible de certains services nous paraissent pour le moins timides, même si celles du B.E.U.C. sur la lutte contre les soitdisants excédents alimentaires sont tout à fait inacceptables, je pense que nous devons nous intéresser à la lutte des consommateurs pour plus de considération et plus de dignité. Notre combat pour une économie libérée ne peut pas nous dispenser d’une lutte de tous les jours consumériste et syndicale peut-être plus ingrate, mais indispensable, dans l’attente de la réalisation d’une société non mercantile où le "veau d’or" aura été abattu.

(1) Voir notre numéro d’avril 1987.


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