De la coopération


par  F. CHATEL
Publication : avril 2013
Mise en ligne : 10 juillet 2013

Instaurer une alternative à un capitalisme moribond, c’est comme vouloir sauver une épave qui dérive dangereusement : il faut s’assurer de l’existence et de la fiabilité des conditions nécessaires. Comment connaître aujourd’hui le niveau d’engagement altruiste dont est capable l’être humain ? Quelle est sa propension à participer activement à l’œuvre sociale ? Quel comportement coopératif peut-il offrir qui puisse aider à la mise en place et au développement d’une alternative au capitalisme telle l’économie distributive ?

Les choix individualistes sont aujourd’hui encouragés et gratifiés par le libéralisme, par ceux qui trouvent intérêt à maintenir les différences de classes qui sont garantes de leur domination. Un tel conditionnement ne forme t-il qu’une couche superficielle dont il est aisé de se débarrasser ? Ou bien constitue t-il désormais la nature de l’homme moderne ?

Le capitalisme, et sa dérive extrême qu’est le néo-libéralisme, ont tellement harcelé les cerveaux de propagandes pour justifier leur authenticité et leur crédit, qu’il semble judicieux de faire le point.

Essayons de “débroussailler” le chemin qui mène à la prise de confiance envers cette nouvelle voie.

Cupidité, égoïsme et besoin de domination ont été présentés comme utiles à notre espèce, comme facultés d’adaptation créatrices de l’équilibre des échanges et de la circulation des richesses. Qu’en est-il vraiment de ces soi-disant vices innés de l’être humain ? Ne s’agit-il pas d’un subtil et ingénieux stratagème qui, soumis à l’épreuve du temps, s’est révélé totalement caduc ? C’est ce que soutient par exemple Karl Polanyi [1] : « un marché s’ajustant lui-même était purement utopique. Une telle institution ne pouvait exister de façon suivie sans anéantir la substance humaine et naturelle de la société, sans détruire l’homme et sans transformer son milieu en désert ». Si le résultat s’avère désastreux et détermine l’abandon d’un tel système économique, l’argumentation qui tend à le justifier n’en demeure pas moins intacte dans les esprits. Dans la conversation courante, on voit combien la nature humaine a toujours mauvaise réputation : les pires accusations sont sans cesse proférées à son encontre [2]. L’idée judéo-chrétienne selon laquelle chacun de nous hérite du péché originel a la peau dure. Elle affaiblit, elle étouffe toute révolte contre ce système inhumain : quel esprit sacrilège oserait remettre en question une punition divine… ?

Que se passerait-il si après un printemps arabe survenait celui du monde occidental ?

Selon les philosophes et économistes libéraux des 18e et 19e siècles, qui servent encore de référence, c’est l’individualisme qui prévaudrait et une nouvelle société de classes verrait le jour, dominée par les plus aptes à s’adapter. Il suffirait donc de laisser faire, de laisser passer, pour qu’un nouvel “équilibre” s’instaure, proche de l’actuel.

Mais des anthropologues et des penseurs contemporains s’interrogent à propos du communisme primitif que les groupes humains ont connu pendant des dizaines de milliers d’années.

Et ils y voient l’avènement possible d’un monde convivial.

Si dans les temps reculés, l’humain possédait la capacité à donner avant de recevoir, en est-il encore capable aujourd’hui ? — Oui, parce que la supériorité de la coopération sur la compétition réside dans l’existence d’un élément économique essentiel qu’on peut appeler “abondance”. Au sein d’un régime de rareté, la compétition s’avère probable et nécessiter une autorité suprême. Quand l’abondance est possible, le capitalisme mène au productivisme, donc au pillage des ressources, il est incapable de réaliser un partage équitable de l’abondance. C’est la coopération, basée sur la réciprocité, qui permet alors une juste répartition d’une production raisonnée.

L’abondance est la garantie, c’est la condition économique nécessaire à la mise en œuvre et à la fiabilité d’une telle nouvelle organisation sociale. C’est cette condition qui a manqué, par exemple, à l’instauration d’un véritable socialisme soviétique.

La réponse à la question « l’humain est-il naturellement individualiste ou bien altruiste ? » dépend donc des conditions politiques et économiques dans lesquelles sa faculté d’adaptation est appelée à s’exercer. L’homme est façonné par son milieu. La coopération, la solidarité, la convivialité dépendent de la culture. Des conditions politiques et économiques sont nécessaires pour que l’individu se sente suffisamment en confiance, suffisamment autonome et reconnu par le groupe dans lequel il vit. De la cohésion de celui-ci, donc de l’investissement de chacun, dépendent sa liberté et sa sécurité.

Dans les sociétés évoluées, la division des tâches est indispensable pour produire biens et services. Personne, malgré l’encouragement à l’individualisme, ne peut vivre seul ; personne ne peut subvenir à ses besoins essentiels sans l’apport des autres.

Alors comment concilier ceci avec la séparation entre revenu et travail, comme l’implique l’économie distributive ? Libéré de l’obligation de vendre son temps de vie contre l’accès à la consommation, qui voudra participer, qui offrira volontairement son temps à la communauté pour produire biens et services ? — Quand l’abondance est possible, la séparation entre sécurité matérielle et exercice d’une activité professionnelle le devient aussi. Avec l’abolition du salariat, l’activité n’est plus motivée par le besoin d’assurer sa sécurité matérielle, mais elle l’est par le besoin, pour chacun, d’y trouver son développement personnel, un enrichissement intellectuel, une gratification, etc… Or toutes ces motivations sont indispensables à son équilibre psychique, et c’est par cette recherche d’épanouissement personnel dans une activité choisie que l’abondance se trouve garantie.

La société, c’est-à-dire le groupe humain dans lequel vit tout individu, lui offre d’abord éducation, formation et santé. Puis les moyens de vivre libre, et d’acquérir, par son activité personnelle, le savoir faire, la reconnaissance, le prestige, voire la renommée. Bref, de parvenir à la réalisation de sa personne, de son autonomie intellectuelle, de grandir dans son humanité et de réaliser l’être social qu’il est par naissance. En d’autres termes d’être reconnu, d’exister dans son individualité propre.

Réciproquement, par son activité, l’individu offre une partie de son temps et de ses compétences à la société, ce qui permet à celle-ci de vivre pour apporter cette même abondance à ses membres, et de progresser pour les générations futures.

Dans cet échange, dans ces dons réciproques, non quantifiables, non “marchands”, l’individu découvre l’estime de soi, indispensable pour découvrir l’estime des autres. Car la singularité de chacun ne s’exprime ni ne se reconnaît en vivant “chacun pour soi”, mais par l’expérience de la vie parmi ses semblables.

Cette réciprocité mettant en jeu la psychologie des rapports sociaux et des sentiments humains, génère ainsi de la force de cohésion et du ciment social. Savoir donner, recevoir et rendre, voilà un art qui donne toute sa valeur aux relations humaines, même si la base reste l’intérêt.

Afin d’appréhender la propension de l’être humain à coopérer, R.Axelrod et W.Hamilton [3] ont eu recours au "dilemme du prisonnier", présenté à Princeton en 1950 par A.W. Tucker :

Le dilemme du prisonnier

Avec un complice, vous avez fait un cambriolage et vous êtes tous deux interrogés par la police.

Faute de preuve, le procureur ne peut vous condamner que s’il obtient des aveux.

On vous isole de façon à ce que vous ne puissiez pas communiquer.

Et le marché suivant vous est proposé :

• Si seul l’un de vous deux avoue et dénonce son complice, il sera libéré, l’autre condamné à 5 ans ;

• Si vous avouez tous les deux, vous serez tous les deux condamnés à 3 ans ;

• Si aucun n’avoue, vous serez tous les deux condamnés à un an.

Dans l’ignorance de ce que décide votre complice, votre intérêt, rationnellement, est de le trahir en avouant. Et comme vous êtes tous les deux rationnels, le procureur obtient ainsi les aveux, il a gagné.

Chacun des deux acteurs a donc à choisir entre sa rationalité individuelle, qui lui dicte de dénoncer son complice, et la rationalité collective qui lui dicte de se taire.

Ce dilemme présente la situation la plus fréquente dans les interactions sociales : le conflit entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif. Il a fait l’objet d’un grand nombre d’investigations scientifiques. Il est utilisé dans la théorie économique, en politique, en sociologie, en anthropologie. Par exemple, deux entreprises leaders sur un marché ont souvent tendance à se livrer une concurrence sans merci (en termes de prix, de publicité, etc.) alors qu’une entente permettrait de limiter les coûts pour chacune d’entre elles.

L’intérêt immédiat pousse chacun à trahir, c’est-à-dire adopter un comportement individualiste.

Mais, que se passe t-il si cette situation se répète plusieurs fois entre deux protagonistes, ce qui se produit souvent dans la vie courante ?

— Les travaux de Robert Axelrod, dans les années 1980, ont montré la supériorité, sur toutes les autres stratégies, de la stratégie dite de coopération conditionnelle particulière [4] . Souvent qualifiée de stratégie “donnant-donnant” (ou tit-for-tat), elle consiste à jouer la coopération lorsque l’autre joueur a lui-même coopéré, mais à ne plus coopérer dès que l’autre cesse de le faire.

• Si les adversaires ont peu de chances de se retrouver face-à-face, la trahison systématique est la meilleure stratégie.

• Si les adversaires vont jouer ensemble encore et encore, trahir systématiquement n’est pas du tout efficace, pas plus que collaborer systématiquement.

La meilleure stratégie consiste à opérer de la façon suivante : si, au cours d’une partie, un joueur trahit, son adversaire trahira lors de la partie suivante. Et ainsi de suite. De sorte que si un joueur coopère, son adversaire coopère lors de la partie suivante. Si deux joueurs appliquant cette stratégie se rencontrent, ils vont longtemps collaborer.

On vit en société, on ne disparaît donc pas après ses mauvais coups. Il faut rejouer, et rejouer encore. La situation est alors toute autre, et Axelrod écrit : « La coopération basée sur la réciprocité [tit for tat] peut démarrer dans un monde majoritairement non coopératif, elle peut se développer dans un environnement complexe et elle peut se défendre elle-même une fois qu’elle s’est répandue. » Il démontre qu’une fois installée, la stratégie "tit for tat" ne peut pas être battue : être méchant peut d’abord sembler prometteur, mais, sur la durée, cette stratégie détruit l’environnement qui lui permet de réussir.

Nash en déduit que le dilemme fournit un contre-exemple incontournable au mythe de la “main invisible” du marché.

Le dilemme du prisonnier est souvent donné comme exemple pour montrer que la libre concurrence ne conduit pas forcément au résultat optimal.

Elle ne maximise même pas la somme des gains de tous les joueurs !

Dans les villages isolés, la grande proximité des individus favorise la coopération. Dans les sociétés plus vastes, l’étranger pourrait survenir, trahir (c’est-à-dire profiter) et partir, mais les moyens actuels de communications rendent les étrangers moins étrangers.

À l’avenir, ils favoriseront la coopération à une échelle que l’humanité n’a jamais connue.

Cette étude montre combien, plongé dans un milieu où les relations sont suivies, l’être humain est porté à coopérer. Même en supposant que l’individu soit mu par son intérêt personnel, il n’empêche que s’il cherche à optimiser son projet, la coopération s’avère la stratégie la plus favorable. « Ainsi, la société humaine devrait, par les seules forces de la rationalité individuelle de ses membres, tendre vers la coopération ! On pourra finalement faire remarquer que les recherches récentes en neurosciences tendent à confirmer l’idée que l’homme a été programmé génétiquement, au cours de l’évolution de l’espèce, pour coopérer avec ses congénères [5] ».

Donc si le salariat était aboli, chacun aurait intérêt à entretenir de bonnes relations, à s’assurer une bonne réputation pour que les autres coopèrent avec lui. En économie distributive, la promotion de la coopération spontanée est donc primordiale, elle permet à l’individu d’avoir un environnement relationnel favorable qui lui apporte accueil, savoir, sécurité, liberté, reconnaissance, estime et, pourquoi pas, renommée.

Selon Peter Singer et Henri Laborit, toute société augmente ses chances d’atteindre ses objectifs sociaux et économiques quand elle intégre une vision scientifique de la nature humaine. Pour cela, il faut considérer que la “coopération“ est, elle aussi, un fait naturel, que la théorie darwinienne de l’évolution ne contredit pas. Contrairement aux darwinistes sociaux qui n’admettaient que la concurrence comme processus naturel.

C’est surtout Patrick Tort [6], qui soutient l’idée que « par le biais des instincts sociaux et de l’accroissement des capacités rationnelles, la sélection naturelle sélectionne la civilisation qui s’oppose à la sélection naturelle ».

Dans une chronique publiée en 2008, Michel Onfray se réfère à La descendance de l’homme et la sélection naturelle, un livre de Darwin dans lequel, au contraire de L’origine des espèces, il est question de l’homme en tant qu’être moral, naturellement et génétiquement. En effet, seul parmi les mammifères, il dispose d’un sens moral inné par lequel il juge ses actes, puis les condamne ou les approuve en fonction de leur utilité pour la vie et la survie de l’espèce. « La coopération humaine doit pourtant pouvoir s’expliquer dans le cadre de la théorie de l’évolution puisque cette aptitude fait partie de notre héritage phylogénétique. En effet, cette coopération a des bases neuronales (King-Casas et al. 2008) et hormonales (Bos et al. 2010) » et « Il y a donc incontestablement chez Homo sapiens… une aptitude exceptionnelle à la coopération, bien au-delà de la parenté et du groupe d’appartenance… S’il devait y avoir un seul principe dominant représentant la nature humaine dans cette argumentation, ce devrait être le plus certainement la coopération [7] ». Pour cette raison, il existe donc chez l’homme des tendances instinctives à la sympathie et à l’entraide qui visent le perfectionnement de l’espèce. Michel Onfray conclut : « enseignons donc le Darwin qui célèbre l’humanité du mammifère susceptible de solidarité, naturellement doué pour l’entraide, capable d’éducation mutuelle, porteur d’un sens inné de la république (au sens étymologique : de la chose publique) [8] ».

La religion chrétienne a instauré l’individualisme par la notion du péché, de la responsabilité individuelle. L’Église, seule intermédiaire déclarée entre l’individu et Dieu, a remplacé la communauté dans la recherche de la reconnaissance. Peu à peu, c’est l’État qui a hérité du pouvoir de reconnaissance et de punition, pouvoir qu’il partage aujourd’hui avec l’entreprise privée. Ainsi chacun recherche la reconnaissance du pouvoir ou du système. C’est une manière de perdre un lien avec les autres, alors qu’en réalité nous leur devons tout…

Ne pas chercher la reconnaissance des autres, c’est détruire les rapports sociaux. L’exemple "du dilemme du prisonnier" montre qu’à l’aide de la stratégie “CRP“ (= coopération - réciprocité - pardon) un équilibre optimal est trouvé entre les intérêts individuels et les intérêts collectifs. Un système qui privilégie les échanges par le don/contre-don (et sur lequel les humains ont pendant très longtemps fonctionné) est à même de transformer le travail en service rendu au groupe social. Chacun donne de son temps et de sa personne pour une activité choisie, et, en contre-partie, la société lui assure tout un processus lié à la gratification et à la reconnaissance. L’activité professionnelle est ainsi incluse dans un système de réciprocité, basé sur la personne, et déconnecté de toute recherche de sécurité matérielle puisqu’en économie distributive celle-ci est assurée par le revenu garanti.

Vouloir toutes les chances de réussite à une nouvelle société, s’assurer de la coopération de tous, c’est donc avant tout donner ce pouvoir d’estime, de reconnaissance, de renommée, ni à l’État [9] , ni à l’entreprise privée, mais à l’environnement relationnel de chacun, au groupe social auquel l’individu aura choisi d’appartenir pour mener à bien un projet.

Dans un excellent article sur la coopération [10], Michel Cornu présente son expérience sur le sujet. Il y énumère les risques de déviations, fait les recommandations et présente les règles de réussite.

En voici quelques extraits :

« Chacun sera poussé non par contrainte ou par altruisme, mais parce que, par exemple, l’environnement fait que son intérêt propre rejoint l’intérêt du groupe. »

Il s’agit ici de l’application aux relations sociales du dilemme du prisonnier réitéré à l’infini, par lequel même le plus individualiste mesure son intérêt à coopérer afin de se trouver parmi les gagnants.

« La réconciliation de l’intérêt individuel et collectif est favorisée par :

• Un environnement d’abondance qui permet une économie du don et provoque des mécanismes de contrepartie collectifs.

• La mise en place d’une communauté qui multiplie les interactions entre ses membres et qui s’instaure pour durer.

• Une nouvelle façon d’évaluer les résultats a posteriori qui implique l’ensemble de la communauté.

Lorsque monnayer un bien n’a plus de sens car il est abondant et facile à trouver, et lorsqu’on a satisfait ses besoins minimaux de survie, la seule chose qu’on puisse encore rechercher est l’estime de la communauté. Le fait que la contrepartie du don passe par l’ensemble des autres personnes aide à faire converger les intérêts individuels et collectifs.

L’un des éléments clés qui favorise le basculement d’une économie d’échange vers une économie du don est le passage de la pénurie à l’abondance. L’abondance signifie que les acteurs ont résolu leurs besoins de sécurité et qu’ils recherchent autre chose, par exemple la reconnaissance. »

« Le sentiment d’appartenance et l’existence de particularités spécifiques au groupe sont indispensables pour qu’une communauté existe. Mais elle ne peut s’enrichir qu’en restant ouverte sur l’extérieur.

Il existe deux critères qui favorisent l’ouverture du groupe vers l’extérieur :

• Chaque participant doit pouvoir en sortir à tout moment.

• L’appartenance à d’autres groupes doit être autorisée et même encouragée pour enrichir le groupe au travers de ces liaisons informelles.

Il existe des règles du don qui, si elles ne sont pas respectées, conduisent à des déviations :

•1. L’abondance doit être préservée et bien répartie pour éviter le retour à une économie de la consommation.

•2. L’évaluation doit être globale et décentralisée pour ne pas qu’un don particulier serve à écraser l’autre.

•3. Donner à chacun une vision à long terme pour permettre le développement de comportements du type CRP (coopération - réciprocité - pardon)

•4. Développer un historique pour préserver l’héritage commun pour éviter les "retours à zéro"

•5. Permettre à tous de sortir à tout moment et encourager l’appartenance à d’autres groupes pour éviter la sectarisation d’un groupe fermé.

L’abandon total du pouvoir coercitif donné par le titre hiérarchique ou le contrat d’engagement est remplacé par l’incitation à coopérer par les résultats et l’estime obtenus.

Notre image du fainéant est celle d’une personne qui ne fait rien. Notre image d’une personne efficace est celle de quelqu’un qui fait de nombreuses choses. Le langage commun est assez pauvre pour décrire quelqu’un qui fait le minimum de choses ayant le maximum d’impact et sait conserver du temps pour de nouvelles opportunités. …il vaut mieux autant que possible que chacun puisse choisir son rôle, cherchant alors à s’investir dans les fonctions non ou mal remplies pour "trouver sa place", plutôt que d’affecter des rôles à l’avance ».

Le milieu éducatif, l’environnement social, la sollicitation des pairs, l’encouragement et l’apprentissage du succès, la relation de confiance réciproque, participent à la réussite du projet.

Si la société démocratique se pose comme une représentation de la volonté du peuple, la participation et le rôle de chacun ne peuvent correspondre qu’à un choix individuel libre.

Une coopération entre société et individu permettra d’accompagner chacun à trouver son rôle gratifiant. Le temps consacré au travail choisi, considéré désormais comme un moyen d’épanouissement et de réalisation de son être, relève de la liberté de chacun, puisque ce travail est devenu une activité gratifiante.

En retour, c’est à la société de protéger ce libre choix et d’assurer cette gratification.

Ainsi chacun se trouve récompensé, rémunéré par l’exercice de sa liberté, par le bénéfice d’une formation appropriée et par l’exercice d’une profession gratifiante, favorable à sa réalisation personnelle.

L’engagement à exercer une profession tient à la fois de la réalisation personnelle, d’une marque de reconnaissance envers l’environnement social et éducatif auquel chacun doit tout, et de la qualité de l’accueil accordé à chacun par ce groupe social.

D’un côté, l’individu autonome a conscience de son intérêt et de ses besoins envers la société pour maintenir et même améliorer son Être, alors que la société connaît son intérêt et ses besoins envers l’individu pour maintenir sa situation et même l’améliorer.

La réciprocité s’exerce en toute égalité et sans contrainte.

Cet échange fructueux permet aux individus d’acquérir la liberté et l’autonomie, et au groupe d’y gagner cohésion et équilibre en se protégeant de tout pouvoir coercitif.

Selon F. Lordon : « Être autant que possible utile aux autres pour l’unique et bonne raison d’être le plus utile à soi, telle est la perspective éthique de la philosophie spinoziste ».

« La décision de passage à l’acte pour coopérer à un projet se fait de façon brutale, tel un basculement. Elle se réalise lorsque la somme de toutes les incitations dépasse un certain seuil (le neurone dans le cerveau humain fonctionne d’ailleurs de cette façon). La transformation d’un membre passif en contributeur actif dépend donc à la fois des différentes incitations et de la hauteur du seuil, de la motivation par la reconnaissance, le plaisir et l’acquisition de savoir-faire.

Les personnes passent à l’acte grâce à l’estimation des gains qu’elles peuvent attendre du don de leur temps et de leur personne. Ils sont de trois ordres :

1• Le savoir-faire : toute participation à un projet doit permettre d’acquérir des savoir-faire dans les domaines opérationnels où nous nous impliquons.

2• Le plaisir : dans les projets coopératifs, le plaisir n’est plus apporté indirectement grâce aux gains en argent, mais directement par le projet lui-même, par l’exercice d’une passion, d’une vocation. Il agit comme un moteur pour susciter l’implication qui est une des clés de la réussite de tout projet.

3• La reconnaissance : elle apporte par ricochet plusieurs avantages :

- Un moyen très efficace pour attirer la coopération des autres dans les projets proposés.

- La satisfaction du besoin de reconnaissance que nous avons tous.

- L’acquisition possible de l’estime et de la renommée qui vont permettre de susciter des engagements et des vocations à l’origine d’élargissement et d’évolution des projets.

Les six règles de la contrepartie au sein d’une communauté fonctionnelle s’énoncent ainsi :

1. L’estime, qui est une des principales contreparties, doit être apportée de façon globale par l’ensemble de la communauté et non par la décision d’une personne ;

2. La contrepartie doit être obtenue a posteriori (par exemple l’estime acquise par les résultats obtenus) et non a priori (telle que la nomination à un titre) ;

3. L’amélioration ou la diminution de l’estime doit être un processus continu. Chacun récolte l’estime qu’il mérite. Faire circuler l’information sur les réalisations de chacun, conserver un historique des réalisations, sont des moyens efficaces de faciliter l’autorégulation par l’estime ;

4. L’évaluation ne doit pas se faire uniquement en fonction de critères objectifs mesurables, elle doit prendre en compte les ressentis subjectifs de chacun ;

5. Le rôle du manager n’est pas de reconnaître seul le travail de chacun mais de favoriser les mécanismes de contrepartie collectifs (estime, plaisir, acquisition de savoir-faire) ;

6. Il faut être attentif à ce que la contrepartie ne soit pas demandée, mais reçue » [11].

L’absence de crainte à propos de l’engagement de chacun à coopérer va permettre de séparer définitivement d’une part l’œuvre humaine et de l’autre la sécurité matérielle, la consommation. Le revenu universel garanti est totalement détaché des relations humaines, de l’exercice réciproque du don/contre-don en vigueur au sein du groupe social.

La seule différence avec les sociétés ancestrales vient du fait que l’abondance venait d’une nature providentielle, alors qu’elle sera demain la conséquence de la réussite de l’organisation sociale.

Mieux la coopération sera assurée, meilleurs seront les résultats productifs, et ils seront bien mieux adaptés à ce que peut fournir un système prônant l’individualisme et la compétition.

Les études sociologiques et économiques le garantissent.

La substitution d’une monnaie non “fructifiable” à la monnaie capitaliste empêche la formation des inégalités qui sont responsables de la prise de pouvoir et de la confiscation des libertés. Afin d’empêcher ce processus déstabilisateur de l’équilibre du groupe, certaines sociétés primitives avaient recours à la fête pour qu’y soient dépensés les surplus créateurs de différences sociales. Chaque membre du groupe apportait ses réserves et la fête se poursuivait jusqu’à leur épuisement.

La caducité de la monnaie, après un certain délai fixé par la société, est un procédé similaire qui permettrait, si besoin, de remettre les pendules à zéro.


[1La grande transformation, Karl Polanyi éd.Tel, Gallimard, 1985.

[2Voir François Chatel, Nature humaine et agressivité » GR 1118

[3dans The Evolution of Cooperation Science, 211, 1981.

[4Cette stratégie la plus efficace a été découverte en 1974 par le philosophe et psychologue Anatol Rapaport.

[5A Neural Basis for Social Cooperation, Rilling J., Gutman D., Zeh T., Pagnoni G., Berns G. et Kilts C. , Neuron, 35, 395-405, [2002]

[6spécialiste de l’œuvre de Darwin, notamment à travers deux ouvrages, le premier : La Pensée hiérarchique et l’Évolution publié en 1983 et le second, L’Effet Darwin, publié en 2008.

[7Pourquoi coopérer, Joël Candau, Université de Nice Sophia Antipolis, Laboratoire d’anthropologie et de sociologie, “Mémoire, Identité et Cognition sociale” (Lasmic)

[8Pour une gauche darwinienne, La chronique mensuelle de Michel Onfray N° 34 - mars 2008.

[9Voir L’État est-il indispensable ?", GR1136.

[10extraits de La coopération, par Michel Cornu, Nouvelles approches, Version 1.2 24 /12/2004.

[11extraits de La coopération, par Michel Cornu, Nouvelles approches, Version 1.2 24 /12/2004.


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