La Relance
par
Publication : décembre 1981
Mise en ligne : 25 novembre 2008
LE président de la République nouvellement élu
en offrant aux communistes, dès son entrée en fonctions,
quatre sièges dans son gouvernement - quatre sièges, pas
des strapontins, comme cela se fait couramment pour caser des copains
ou même des emmerdeurs - n’a pas dû faire plaisir à
son homologue de Washington M. Ronald Reagan. Lequel, avec son franc
parler d’ancien cow-boy qui n’a rien à voir avec le langage diplomatique,
lui a manifesté sa réprobation pour cette initiative inconsidérée.
De quoi je me mêle ?
Tant pis pour Mitterrand. Que cela lui serve de leçon pour l’avenir.
Il débute dans le métier de président, en somme.
Et la prochaine fois qu’il formera un gouvernement, s’il veut éviter
que semblable incident ne se renouvelle, il n’aura qu’à soumettre
à Reagan la liste des ministrables avec curriculum vitae et casier
judiciaire pour avis favorable.
Ce n’est pas qu’il soit plus fûté, le locataire de la Maison-Blanche,
plus compétent qu’un autre, ni plus fortiche que tous nos tireurs
de plans qui passent des nuits blanches pour nous mijoter le prochain
redressement définitif. Et rien ne l’empêche, après
tout, d’en prendre lui aussi, des communistes, dans son gouvernement.
Au besoin, s’il n’en trouvait pas chez lui de présentables, l’Elysée
se ferait un plaisir de lui en refiler quelques-uns. Ne fût-ce
que pour s’en débarrasser. Ce sont des petits services que l’on
peut bien se rendre entre amis.
Toutefois, il me paraît douteux et à tout le moins aventuré
que Ion puisse dans un proche avenir voir un communiste installé
à la Maison-Blanche, même sur un strapontin. M. Reagan
ne le tolèrerait pas. Il a ses raisons. L’ancien cowboy - lui
serait-il resté dans les veines quelques gouttes de sang aztèque
? - vient de déterrer la hache de guerre qu’un de ses ancêtres,
il y a près de deux siècles, la paix signée, avait
planquée dans l’Arizona au fond du jardin, avant de prendre la
retraite. Il vient de se découvrir un ennemi héréditaire
!
Il était temps. La paix c’est comme la santé, dirait le
docteur Knock, c’est un état provisoire qui ne laisse rien présager
de bon. On s’endort dans une sécurité trompeuse sans voir
venir le danger et l’on se réveille un beau matin au son du tocsin
avec un pétard nucléaire sous le paillasson.
On en est là aujourd’hui. Mais ce n’est pas une raison pour s’affoler.
Surtout pas de panique. L’ennemi héréditaire tombe à
pic. La crise économique que traverse le monde occidental, et
dont il se croyait guéri, a fait une brusque réapparition
comme la grippe de Hong-Kong, et les nations les plus riches, même
les U.S.A., connaissent de nouveau les maux qui l’accompagnent, avec
l’inflation, le déficit budgétaire, les excédents
agricoles et les milliers de travailleurs dont les derniers progrès
dans les techniques de pointe ont fait des demandeurs d’emploi.
Le marasme dans lequel le monde est plongé avait besoin d’un
stimulant pour relancer les affaires. C’est pourquoi Reagan n’a pas
attendu Pierre Mauroy pour déclarer la guerre au chômage :
« En prenant possession de la Maison-Blanche, écrit «
Le Noutvel Observateur » du 25 septembre, Ronald Reagan a proclamé
la priorité de deux problèmes : le redressement économique
des Etats-Unis et son renforcement militaire face à l’U.R.S.S...
Le reste, tout le reste, pouvait attendre. »
Le reste, c’est-à-dire tous les oubliés, tous les sans-travail,
tous les crève-la-faim arrêtés, le ventre creux,
devant les boutiques pleines, tous les enfants de pauvres qui meurent
de malnutrition, tous les vieillards qui grelottent l’hiver dans leurs
mansardes sans feu ou qui vont finir leur chienne de vie à l’hospice.
Ils ont l’habitude. Oui, ils peuvent attendre. Que pourraient-ils faire
d’autre ?
Patience, on en sortira. Le renforcement militaire de Reagan, si ce
n’est pas une idée neuve est une bonne idée. Tout le monde
sait aujourd’hui, mais il n’est pas inutile de le répéter
pour les sourds, que dans le système salaires-prix- profits,
l’industrie du casse-pipes, toujours à la pointe du progrès
et dont la production n’a pas besoin d’être « assainie »,
est le seul remède aux crises économiques.
Alors, pourquoi hésiter ? En avant pour la relance et la course
aux armements. C’est bien parti. On est sur la bonne voie. Et quand
tous les chômeurs de la planète seront occupés,
les uns à fabriquer des armes, les autres à les utiliser
sur le voisin devenu l’ennemi héréditaire, tout ira pour
le mieux, il n’y aura plus de problème, plus d’excédents,
plus de chômeurs, et les économistes distingués
pourront enfin dormir tranquilles.