Revue estivale


par  A. PRIME
Publication : octobre 1994
Mise en ligne : 27 avril 2008

André Prime a suivi pour nous la politique :

 « Consommez plus et économisez plus »

Tel est l’appel pressant lancé le plus sérieusement du monde à la fin de l’été par le gouvernement Balladur ; un Balladur que les sondages nous montrent au zénith de la popularité avec 60 % d’opinions favorables après un an et demi de pouvoir. Chapeau !

Depuis des mois, seule l’antienne « Les Français ne consomment pas suffisamment » nous avait été régulièrement présentée comme cause majeure de la crise. Au départ, le gouvernement, convaincu d’être confronté à une crise de l’offre, commença par opérer un imposant prélèvement sur les particuliers au profit des entreprises par le biais d’une forte augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG). D’après Philippe Labarde, peut-être naïf, dans Le Monde [1] : la conviction proclamée de Balladur était peut-être tout simplement destinée à justifier aux yeux du bon peuple tous les cadeaux qu’il faisait sur son dos aux entreprises, en protestant, pour donner le change, contre les licenciements massifs, tout en respectant la liberté absolue des entreprises de dégraisser dans le but de rester compétitives et de rétablir leurs profits [2].

Quoiqu’il en soit, admet P. Labarde, E. Balladur, et c’est l’hommage qu’il faut lui rendre (!!!), s’aperçut bien vite qu’il avait fait fausse route et qu’en fait de crise de l’offre, c’était bel et bien à une crise de la demande qu’il était confronté, crise qu’il avait aggravée en purgeant les consommateurs potentiels.

Et quelle purge ! En plus d’une CSG largement doublée, deux hausses de la taxe sur les carburants, une hausse alcool-tabac, le blocage des salaires ; à quoi il faut ajouter la perte de pouvoir d’achat de 300.000 chômeurs de plus en 9 mois.

Autre cocorico en cette fin d’été par la voix du Ministre de l’Economie, E. Alphandéry : la croissance pour le premier semestre 1994 a été de 2 %, contre 1,4 prévu, et elle se maintiendra le reste de l’année. L’euphorie est telle qu’on retiendra sans doute 3 % pour 1995 lors de l’établissement du budget.

Et malgré cela, l’inquiétude du gouvernement persiste, car la consommation stagne, si l’on excepte les voitures qui ont bénéficié de la prime d’État de 5.000 F., doublée par les constructeurs. Mais même ce créneau s’essouffle.

C’est que la réalité porte peu à un optimisme béat. « La reprise est encore fragile » répète Balladur. En effet, les 2 % de croissance sont dus avant tout à la reconstitution des stocks et à l’exportation, et non à la consommation intérieure.

C’est pourquoi le gouvernement lance son appel pressant. A la rentrée (la prime scolaire sera un feu de paille et ne concerne qu’un secteur limité) le moment est plutôt mal choisi : coût des vacances, tiers provisionnels, impôts locaux (en forte hausse : 10 % en ce qui me concerne, alors que l’inflation est de 2,5 %) etc.

Enfin, le ridicule ne tue sans doute plus, l’appel se double cette fois d’une supplique à épargner plus !

On peut s’interroger : à quoi joue le gouvernement Balladur ? Méthode Coué ? Il lui faut bluffer, flouer les 60 % de Français [3] “crédules” et ce, pour “tenir” jusqu’aux présidentielles. Après tout, ça a marché pendant un an et demi, pourquoi pas quelques mois de plus ? Mais ça pourrait se gâter. P.Labarde prévient :« Mais l’incantation est de peu d’effet… Les Français restent inquiets… Le redressement de l’activité… ne leur est pas encore perceptible tant est fort le poids de chômage. De surcroît, le partage des revenus entre entreprises et salariés n’est guère favorable à ces derniers ». Alors reprise ? Attendons la suite. Car si les entreprises affichent aujourd’hui des bénéfices insolents, essentiellement dus aux compressions de personnel, le pouvoir d’achat de leurs salariés n’a pas suivi. Et c’est la demande et non l’offre qui règle le marché. Élémentaire !

 Plus social que moi, pas possible !

L’avance considérable acquise à ce jour par Balladur sur Chirac dans leur course à l’Élysée a conduit ce dernier à écrire un livre-programme où le social est en bonne place. Toutes les élections décisives, législatives et surtout présidentielles, se jouent à 4 ou 5 % des voix [4], souvent moins. En fait, celles des électeurs qui n’ont pas d’opinion arrêtée et fluctuent au vent des promesses ou des déceptions. C’est pour ces voix décisives que tous les candidats se battent.

Dans le droit fil de son livre “Une nouvelle France”, pour tenter de contrer la montée de son rival, Chirac rajoute du social à chaque discours. La France affaiblie et incertaine a besoin que l’État incarne à nouveau l’autorité et que le pouvoir politique aujourd’hui affaibli soit restauré et que la cohésion sociale soit renforcée. « Une politique juste et généreuse devra y pourvoir ». Devra, donc ce n’est pas le cas aujourd’hui. Une pierre dans le jardin de Balladur.

Balladur a senti le danger. Aussitôt, par la voix de son ministre du Budget, Nicolas Sarkozy, il a fait savoir que, contrairement aux promesses faites, il n’y aura pas cette année de baisse des impôts, car cet argent est nécessaire pour faire face aux besoins sociaux…

On le voit, la bagarre Chirac-Balladur s’engage sur le social. Espérons que le peuple retrouvera sa lucidité et qu’il fera mentir Pasqua qui disait naguère :« les promesses électorales n’engagent que ceux qui les écoutent » [5].

Car ni Balladur, ni Chirac à la tête de l’État ne feront une politique sociale et économique au profit de la majorité des Français.


[1du 3.9.94.

[2« Les entreprise ont taillé dans les effectifs à un point tel qu’elles n’ont plus aujourd’hui que la peau sur les os » pour reprendre l’expression d’un spécialiste, P. Labarde.

[3Cela peut changer vite. Et quelques jours après le sondage donnant 60 % d’avis favorables à Balladur, un autre sondage indique que 58 % des Français estiment que la situation se dégrade en ce qui concerne l’emploi, le pouvoir d’achat, la protection sociale et le climat social. Rien que cela.

[4La droite a raflé la quasi totalité des sièges lors des législatives de 93 avec pratiquement le même pourcentage de voix qu’en 1988 du fait de l’effondrement des socialistes.

[5C’est sans doute pourquoi Juppé, qui roule pour Chirac, a déclaré à l’Université des jeunes RPR à Bordeaux le 3 septembre :« L’élection présidentielle se fera non sur un bilan, mais sur un projet ». Toujours les promesses !


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