Savoir ce qu’on veut...

Éditorial
par  M.-L. DUBOIN
Publication : août 2002
Mise en ligne : 6 janvier 2007

  Sommaire  

« Merci beaucoup, mais il vaut mieux me désabonner, je n’ai malheureusement pas le temps de lire d’autres publications. Merci. » Je ne cite pas le nom, très connu, de la personne qui a signé ces lignes sur la dernière bande d’envoi de la GR, parce que son attitude est beaucoup plus honnête que celle d’autres intellectuels “en vue” à qui nous faisons le service gratuit du journal, et dont pas un ne “renvoie l’ascenseur” en nous adressant ses réflexions. Refusant ainsi d’accorder la moindre attention à nos “utopies”, ce qui n’empêche pas certains de les dénigrer en les déformant, est évidemment la façon la plus sûre de ne pas être dérangé par elles. Ce faisant, ils font pourtant preuve, à l’égard de nos propositions, exactement du même autisme que celui qu’ils reprochaient au précédent gouvernement vis-à-vis des leurs !

Attac, par exemple, mène une critique du néolibéralisme qui est très sérieusement fondée, et son souci de participation et d’actions pédagogiques est excellent, mais sa direction manifeste une véritable peur de devoir aller au-delà, d’où ses affirmations sur les mérites de l’économie de marché qui doit rester intouchable car il est impossible de faire mieux. C’est totalement illogique et elle ne pourra pas longtemps critiquer les méfaits du capitalisme actuel sans voir qu’il en est la cause. On ne peut reprendre les airs connus du genre : il faut créer des emplois ou empêcher les licenciements, sans jamais se demander pour quoi produire, ni pour qui. On ne peut décrire la spéculation ou critiquer les paradis fiscaux et autres détournements des capitaux sans remettre en cause le privilège accordé aux banques de créer la monnaie. Bref, si on décide a priori de laisser le renard dans le poulailler, il faut constater qu’il n’est pas possible de le moraliser pour le rendre plus gentil, sans comprendre que pour survivre, il a besoin de manger des poules.

 

D’accord, nous sommes utopistes au vrai sens du terme puisque la démocratie économique dont nous proposons les rouages n’existe nulle part. Si nos propositions font souvent rêver c’est parce qu’elles ont pour but l’épanouissement des êtres humains, mais cela ne signifie pas qu’elles sont bâties sur un rêve. Elles le sont sur la réalité. Nous les défendons par des arguments raisonnés, fondés sur les possibilités actuelles, pour mettre fin à des injustices insupportables et éviter des dangers graves et de plus en plus évidents.

Nous prétendons que ces objectifs ne peuvent être atteints ni par des réformes dans le système actuel, ni par la persuasion pour rendre l’homme meilleur. Nous démontrons que ce sont les principes, sur lesquels fonctionne le capitalisme depuis environ deux siècles qu’il est urgent de changer.

Sans aller dans les détails, on sait que c’est à partir des premières décennies du siècle dernier que l’occident a mis au point des techniques permettant de produire l’essentiel avec de moins en moins de main d’œuvre. N’est-ce pas dans le but de verser moins de salaires que ces techniques ont été appliquées ? N’est-ce pas parce qu’il est posé en principe que tout pouvoir d’achat doit venir de la vente à profit des produits créés, que le chômage et la misère en ont résulté ? N’est ce pas pour maintenir les prix de vente de leurs produits devenus ainsi surabondants, par rapport aux seuls besoins solvables, que les pays qui se disent développés ont entrepris de détruire, au cours des années 30, stupidement mais massivement des denrées essentielles ? N’est-ce pas grâce au chômage qu’Hitler a été porté au pouvoir ?

La Seconde guerre mondiale a permis de relancer les économies (car les États trouvent toujours l’argent nécessaire pour financer une guerre) et résorber le chômage pendant trente glorieuses années. Mais ensuite ? N’est-ce pas la même logique qui a poussé à chercher à tout prix des clients solvables pour être sources de profits dans une économie “prospère” ? Quand les travailleurs remplacés à l’ouest par des machines ont été ainsi privés de leur pouvoir d’achat, quand les produits de première nécessité, trop abondants, n’y ont plus été “rentables”, n’est-ce pas cette logique qui a mené ces pays à cesser de produire ce dont beaucoup de leurs ressortissants manquaient, introduit des quotas, mis les terres en jachère, distribué des subventions pour exporter au maximum, et délocalisé au mépris des besoins locaux ?

Cela demandait des recherches, des matières premières, le développement d’une propagande bien orientée et une organisation mondiale du commerce au service des pays occidentaux. N’est ce pas ce qui explique toute la suite de l’histoire ?

 

Quand les anciennes colonies ont obtenu leur statut “d’indépendance, l’essentiel a été, pour les occidentaux, de les rendre économiquement dépendantes, qu’elles leur fournissent à bas prix leurs matières premières, voire un temps, leur main d’œuvre et qu’elles soient convaincues que se développer c’était pour elles s’équiper en suivant le modèle occidental. Quand les recherches en bien d’équipement n’ont plus amené assez de “débouchés” au commerce intérieur, les foyers solvables ayant tous frigos et machines à laver, d’autres pistes ont été explorées, mais toujours dans le seul et même but : trouver ces “débouchés solvables”. N’est-ce pas dans cette optique que les magazines de la mode et des loisirs ont appris à conditionner leurs lecteurs pour qu’ils achètent ce qu’auparavant ils savaient faire eux-mêmes ? On se souvient des efforts du gouvernement Pompidou pour développer la voiture individuelle, les routes, puis les autoroutes. Tous les nouveaux marchés ont été présentés comme des innovations qu’il fallait acheter sous peine de ne pas être moderne. Même quand il s’agit d’un “plus” évident, la télévision par exemple, un conditionnement est organisé pour pousser tous les foyers à en éprouver le besoin. Mais après ? La question lancinante revient à chaque fois que le marché de la dernière innovation se sature. C’est toujours le même principe : il faut inventer de nouveaux besoins solvables à satisfaire ! Ni les besoins plus vitaux mais insolvables, ni l’environnement, ni les dangers pour l’avenir ne comptent.

La déprime était générale quand un immense espoir de débouchés capitalistes est venu avec les nouvelles technologies : elles allaient être le salut, ce nouveau marché serait inépuisable car il allait falloir absolument tout remplacer, rééquiper le monde entier et tout repenser à l’aide de l’informatique, les profits allaient être faramineux et c’est pour cela que des sommes astronomiques y ont été investies (sommes toujours introuvables pour soulager la misère).

Et puis, plouff ! Le public a su faire le tri ! Le téléphone portable s’est vite et bien développé et des kyrielles de magasins se sont ouverts les uns à côté des autres pour en vendre, mais ils disparaissent l’un après l’autre parce que tous les clients qui pouvaient le faire sont maintenant équipés, et on a beau leur promettre qu’ils vont pouvoir regarder les matches de foot sur leur portable, ils ne “marchent” plus vraiment…

 

S’il ne faut pas s’attaquer au capitalisme parce qu’il est impossible de faire mieux, alors réjouissons-nous de voir qu’il a les moyens de trouver de nouvelles sources de profit. Pour continuer dans le domaine de l’électronique, annonçons que le marché va maintenant s’appuyer, non seulement sur des grands spectacles, mais aussi sur des jeux formidables : d’abord parce qu’ils demandent un matériel de plus en plus sophistiqué, et puis parce que, pendant les heures que les gens, de tous âges, passeront bientôt à s’entretuer virtuellement grâce à ces nouvelles machines, ils ne chercheront pas comment remplacer l’économie de marché.

S’il faut faire comme eux, rassurons-nous en pensant que celle-ci a bien d’autres pistes pour survivre.

D’abord tout ce qui peut être rentable et n’a pas encore été privatisé. Les services publics, par exemple. Réjouissons-nous que leur privatisation soit déjà programmée et disons qu’ils fonctionneront bien mieux en étant assurés par des société privées, parce qu’elles seront plus performantes, sachant cibler une clientèle solvable, elles pourront fournir de bien meilleurs services (surtout si l’État les subventionne quand il le faut). Et les retraites : réjouissons-nous à la pensée que les millards qui servent à financer la retraite par répartition vont bientôt pouvoir être utilisés par les sociétés d’assurance et autres fonds de pension pour investir dans de nouveaux marchés et des entreprises de plus en plus vastes, mais n’interrogeons jamais sur leur raison d’être ou leur utilité.

Enfin, si le capitalisme ne doit pas être remis en cause, soyons rassurés, car la filière armements lui offre un avenir radieux : il existe maintenant des mouvements terroristes et des États “voyous”, il faut par conséquent organiser la lutte contre eux. L’industrie et la recherche de nouvelles armes et de nouvelles défenses contre de nouvelles armes, etc, n’ont pas dit leur dernier mot. Les conflits potentiels à prévoir (ou susciter) constituent une source infinie d’innovations que les États responsables, défenseurs des Droits de l’Homme et démocraties modèles, pourront toujours payer.

Et puis le marché a trouvé de nouvelles filières, tellement généreuses ! Admirez les merveilles que déniche la science quand elle est financée par les sociétés privées à la recherche de nouveaux profits. Parce qu’elles s’appuient sur l’espoir de venir à bout de certaines maladies, les biotechnologies ne feront pas le même plouf que les technologies de la communication. De ce fait les investissements vont maintenat affluer vers elles. Elles apportent la solution au manque de rentabilité de l’agro-industrie : les brevets qu’elles ont déjà pris sur le vivant vont permettre d’éliminer des derniers agriculteurs ringards et bientôt quelques grandes multinationales vont assurer à la fois la nourriture du monde, très facilement grâce aux OGM et avec très peu de terres cultivables. Les autres terres, quand elles ne seront pas exploitées par l’immobilier, serviront à obtenir des plantes pharmaceutiques dont la rentabilité pour les laboratoires ne fait aucun doute.

Il faut être lucide. On ne peut pas à la fois affirmer que le marché est irremplaçable et dénoncer les excès auxquels il doit sa survie. On ne peut refuser de voir où mènent les principes du capitalisme, et rêver qu’ils n’impliquent pas d’explorer tous les moyens de faire du profit, y compris par la dégradation puis la privatisation des services publics, dont celle de l’assurance maladie, de l’éducation, etc. Proclamer qu’il n’y a pas d’alternative au système capitaliste, c’est renoncer à se battre contre “la comédie des fonds de pension”.

Si ceux qui ont entrepris de combattre la pensée unique libérale en ont une autre, tout aussi unique et pas mieux fondée, il ne reste plus qu’à espérer que le capitalisme va s’auto-détruire : la gestion d’entreprises comme celle d’Enron, décourage l’opinion de lui faire confiance…


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