Allemagne, France, même combat
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Mise en ligne : 31 janvier 2008
Le chroniqueur économique du Monde, Éric Le Boucher, poussait un long cri de désespoir dans l’édition des 14-15 octobre sous le titre : L’Allemagne vire à gauche. La catastrophe, selon lui, est que « au moment où la France s’engage dans les réformes, l’Allemagne semble y renoncer. L’Agenda 2010, corpus réformateur mis en place en 2003 par Gerhard Schröder, est mis en pièces, morceau par morceau, aussi bien par le Parti social-démocrate (SPD) que par l’Union chrétienne démocrate (CDU), dans un mouvement commun vers la gauche archéo, purement redistributiste ». L’horreur, quoi ! « Outre-Rhin, l’heure est à “la réforme des réformes”, c’est-à-dire à leur recul. Alors que les prochaines élections ne sont que dans deux ans, les partenaires de la coalition ont déjà engagé la course aux cadeaux sociaux ».
Cette critique est aussi celle du “Conseil des experts”, un groupe de cinq “Sages”, chargé de conseiller le gouvernement allemand en matière de politique économique. Il a, en effet, adressé un sévère avertissement à la “grande coalition” dans son rapport annuel publié en novembre, soulignant que les réformes du précédent gouvernement (SPD-Verts) avaient « contribué au come-back économique de l’Allemagne », alors que le gouvernement dirigé par Angela Merkel a tendance à « contrecarrer d’importantes réformes, voire même à faire marche arrière », ce qu’il déplore. Ces cinq “sages” s’en prennent tout particulièrement aux projets d’allongement de la durée de versement des allocations de chômage et aux correctifs sur la retraite à 67 ans parce qu’ils vont à l’encontre de l’objectif de hausse du nombre de salariés âgés… Selon eux, l’Allemagne vieillit, ses institutions sont paralysantes, sa productivité est faible, son université dépassée, son système d’innovation toujours défaillant, etc., bref, ils estiment que la transformation en une économie du XXIème siècle reste à faire et que l’État devrait y consacrer tous ses moyens (on croirait entendre les “déclinologues” français !) Et Éric Le Boucher s’inquiète : « Les politiques en seront-ils capables à deux ans des élections ? Espérons que oui, sinon nos politiques à nous qui ont tant tardé à s’inspirer du bon exemple allemand, voudront vite copier le mauvais ».
Pourtant le plan Harz IV (à savoir : coupe dans les remboursements de santé, révision du système de retraites et réforme du marché du travail…) [1], mis en place par Schröder avant qu’il ne perde les élections, a été repris par la “grande coalition” présidée par Angela Merkel, et, de l’avis même des économistes “bien pensants”, il a été efficace puisque les déficits sont en voie de résorption, le chômage en forte baisse et les exportations en hausse … « La rigueur acceptée par les salariés a permis de retrouver la compétitivité » se réjouit Le Boucher. Mais il doit constater que « les petits jobs et les réformes Schröder ont créé de nouveaux pauvres, ce qui choque en Allemagne (souvenir des années 1930) et provoque un vif débat. Le climat social a basculé. Les conducteurs de train ont engagé des grèves d’avertissement, les plus dures depuis quinze ans, menées par un syndicat résolu qui réclame 30 % de plus sur la feuille de paie. […] Dans le privé, les organisations de la métallurgie, de la chimie et du commerce ont déjà arraché des hausses ». Décidément, on croirait qu’il s’agit de la France. D’autant qu’en matière de lutte contre la pauvreté l’Allemagne ne fait guère mieux que le tandem Boutin-Hirsch : selon le rapport annuel du Kinderhilfswerk (réseau d’aide à l’enfance), publié le 15 novembre, « depuis la diminution de l’aide sociale pour les plus démunis au début de 2005, le nombre d’enfants pauvres en Allemagne a doublé et dépasse aujourd’hui 2,5 millions ».
La “social-démocratie“ !
Cela n’a, apparemment, pas trop touché le SPD qui, lors de son congrès réuni à Hambourg fin octobre, a réélu son président, Kurt Beck, avec 95,5% des voix, ce qui montre que les socio-démocrates allemands ne veulent pas aller trop loin dans la révision des réformes du plan Harz IV. Ce parti cherche seulement « à corriger quelques points sans aller en arrière » selon les propres termes du président Beck qui n’a cependant pas manqué de fustiger, comme il se doit, le « néolibéralisme » de la droite !
Une telle démarche ne pouvait qu’intéresser le PS français, qui a envoyé une délégation à Berlin pour « étudier les nouvelles voies qu’élaborent les principaux acteurs de la gauche réformiste de l’Union européenne ». Elle y a entendu un jeune député reconnaître, à propos du plan Harz IV, que « ces mesures douloureuses - qui ont contribué à relancer la croissance et l’emploi – ont été imposées sans avoir été vraiment discutées dans le parti […] ». Ce représentant de la gauche du parti au Bundestag a ajouté : « Au congrès, nous aurions pu trouver une majorité sur une ligne plus radicale mais le texte proposé parle notre langage et il n’est pas question de faire marche arrière ».
Le fabiusien Henri Weber, qui conduisait la mission française, en a conclut que « la réforme de l’État protecteur ne peut être menée à bien sans avoir au préalable longuement préparé l’opinion, les syndicats et a fortiori le parti, et qu’on ne peut pas passer en force et dans l’urgence ». Les propos d’autres participants socialistes à cette rencontre ne sont guère plus encourageants [2].
Jean-Luc Mélanchon, qui ne faisait pas partie de la délégation à Berlin, tente de sauver l’honneur de son parti en étant beaucoup plus critique : « Le PS a toujours un métro de retard ; alors que le SPD s’interroge sur les moyens de sortir de l’impasse socio-libérale, il se demande s’il doit s’y engager ». Sa crainte est que « l’état de sidération totale dans lequel se trouvent les socialistes français leur fasse perdre de vue que la social-démocratie d’Europe du Nord, à force de considérer que la question du partage des richesses est secondaire, a accumulé les désastres électoraux. »
En quoi il a bien raison !
[1] À l’époque, ce plan a été analysé dans nos colonnes, voir GR 1049, pp. 5-6, puis évoqué par exemple dans les GR 1070 et 1080.
[2] Voir Le Monde du 16/10/2007.