Au fil des jours
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Publication : octobre 1991
Mise en ligne : 19 avril 2008
Patrons et syndicats pour une fois d’accord... pour continuer à fabriquer des armes : les syndicats des personnels du groupe GIAT Industries (toutes familles réunies) ont protesté avec leur patron contre les projets du ministre de la Défense de réduire ou annuler des achats de matériels blindés par l’armée de terre. Il s’agit essentiellement de la fabrication du char Leclerc. La CGT de Tarbes parle de la “Bérézina industrielle” dont elle rend responsable un pouvoir “qui brade l’armement conventionnel au profit de l’armement nucléaire et chimique”.
Et dire que tous ces braves militants étaient contre la guerre du Golfe...
La manifestation du 11 septembre à Tarbes ne manquait pas de piment. On a même pu lire une pancarte portant le slogan : “Un bon programme Leclerc pour vivre et travailler au pays”. Une autre proclame : “Le Leclerc on le veut depuis le début”. Toujours aussi futée que d’habitude, la CFDT dénonce “l’irresponsabilité et la malhonnêteté de ceux qui ne respectent par leurs engagements écrits”. Ne parlons pas de la CFTC qui ne craignant pas le ridicule parle d’un “personnel humilié et offensé dans sa dignité”.
Le char Leclerc est appelé à succéder à l’AMX 30. Son coût est de 30 millions de francs pièce, si on en construit 100 par an. Sa construction procure du travail à 25 salariés du GIAT et à 100 ou 120 chez les partenaires sous-traitants. A l’usine de Tarbes, sa fabrication représente 400.000 heures de travail, soit la moitié du plan de charge. A Roanne, il fait travailler 1.000 des 2.600 salariés de l’usine. A Roanne, comme à Tarbes, les usines du GIAT sont les principaux employeurs industriels de leur département.
Selon le délégué général pour l’armement des réductions d’effectifs sont à prévoir dans ces usines. Mais les “mauvaises” nouvelles annoncées par le délégué général ne s’arrêtent pas là : le huitième sous-marin nucléaire d’attaque ne sera pas construit et la construction du septième sera arrêtée. Enfin, le programme de réalisation de bâtiments anti-mines océaniques est abandonné. La sous-traitance à l’arsenal de Cherbourg pourrait aussi être supprimée.
Bien entendu, les syndicats vont organiser des manifestations contre ces “braderies”.
Décidément, c’est vraiment dur la paix !
Petit calcul sans signification : un Leclerc coûte 30 millions de francs et demande, en gros, 150 personnes pour le construire. Or 30 millions divisés par 150 celà fait 200.000 francs, soit plus de 16.000 francs par mois et par salarié !
De son côté l’Aérospatiale pourrait supprimer 400 emplois, soit le quart des effectifs, dans son usine de Bordeaux, en raison de l’abandon du programme militaire de S 45. La Société Européenne de Propulsion pourrait aussi y perdre 248 emplois. Dassault craint de son côté une réduction des commandes de Mirage 2000.
En fait, c’est l’ensemble du complexe militaro-industriel d’Aquitaine qui fait vivre près de 27.000 personnes, qui pourrait être touché. C’était jusqu’à présent l’atout industriel le plus sûr de la région. Les syndicats vont bien entendu organiser des manifestations de protestation. FO et la CFE-CGC réclament avant tout le maintien d’une force de dissuasion nationale plus importante et suggèrent le démarrage anticipé de la fabrication d’une nouvelle génération d’engins balistiques. Mais où sont donc nos ennemis ?
Autres suppressions d’emplois “pacifiques” ceux-là, chez Usinor-Sacilor, groupe français nationalisé, qui pourrait débaucher, en 1992, 4.000 à 5.000 employés sur les 66.000 que compte la société. On parle même de 20.000 postes supprimés d’ici la fin du siècle. Mais compte tenu de la “nécessité” que s’est imposée le groupe de réaliser 3 % d’augmentation de productivité par an, les réductions d’effectifs pourraient être encore plus rapides.
Il faut dire qu’Usinor, qui est déjà le plus grand fabricant d’acier d’Europe, est en train de mettre au point un nouveau procédé (la coulée en bandes minces) qui permet de supprimer de nombreuses étapes dans la fabrication, ce qui lui donnera une avance technologique importante sur ses concurrents européens.
Mais qui donc prétend encore que le progrès technologique ne supprime pas d’emplois ?
C’est même vrai pour la Bourse, pourtant en pleine expansion. On vient d’apprendre que pour protester contre l’inertie du gouvernement face aux suppressions d’emplois dans les sociétés de Bourse (estimées à un millier sur les 6.000 employés recensés), un militant de la CFTC s’est suspendu pendant quelques heures au pont au Change, retenu par harnais. Il suivait en cela les consignes de son syndicat qui a décidé de se livrer à des manifestations spectaculaires jusqu’à ce que les pouvoirs publics engagent une négociation.
Comme quoi, on peut pratiquer dans son travail le libéralisme le plus sauvage et appeler l’Etat au secours dès que les mécanismes du libéralisme ne vous sont plus favorables !
C’est d’ailleurs une réaction à laquelle nous ont habitués depuis longtemps les apiculteurs qui sont encore en train de s’illustrer dans diverses manifestations. A ce propos, Michel Charasse, ministre du budget, s’est étonné que dans certaines exploitations agricoles, 80 % des revenus viennent des seules aides publiques. Encore un petit effort et ils seront tous fonctionnaires, sans le dire !