Il faut choisir...!

EDITORIAL
par  M.-L. DUBOIN
Publication : avril 2002
Mise en ligne : 21 janvier 2007

  Sommaire  

À l’approche des élections présidentielles, la campagne bat son plein, mais... les candidats battent la campagne [1]. L’électeur ne pouvant deviner ni quelle politique suivrait J.Chirac parmi toutes celles, contradictoires ou abracadabrantesques, qu’il propose, ni en quoi celle de L.Jospin se situe à gauche, comme il le prétend, il prend conscience que si la querelle des sortants n’est plus que celle de leurs ambitions personnelles, c’est qu’ils ont capitulé devant les mesures imposées par ce qu’on peut appeler la dictature de la finance. La réaction à ce constat d’absence de toute perspective politique, et malgré tous les efforts déployés par les média pour faire croire à un vrai débat, est que les scores des protestataires au premier tour et celui des abstentions et votes nuls au second risquent fort d’être l’expression majoritaire. Et c’est la démocratie qu’on assassine. Comment en est-on arrivé là ? D’où vient cette démission du pouvoir politique, sur quoi s’appuie-t-elle ?

 

Pour tenter de comprendre, il faut avoir en mémoire un double constat. Le premier est que cet assassinat de la démocratie accompagne le triomphe de l’idéologie libérale, de même que l’accroissement de la pauvreté (alors que les moyens de l’éradiquer existent), que celui de la précarité, des violences, des injustices, des atteintes à l’environnement liées au productivisme, etc. Le second est le principe au nom duquel cette idéologie a imposé le pilotage du monde par les marchés, selon lequel si chacun est libre d’agir en ne suivant que son intérêt personnel, alors la loi universelle du marché, c’est-à-dire celle du libre jeu de l’offre et de la demande, fera automatiquement que tous ces égoïsmes mèneront naturellement au plus grand bonheur général, supprimant la misère par le plein emploi pour tous.

Ceci n’empêche pas les apôtres de cette thèse de se contredire en réclamant toujours plus d’aides aux entreprises pour faire face à la concurrence et toujours plus de répression pour faire face à la montée de la délinquance. Passant sur cette contradiction, il reste cette mise de l’entreprise économique au centre de la prospérité d’un pays, donc la croyance que c’est par le marché que doit passer toute richesse, c’est-à-dire par la vente de produits ou de services, quels qu’ils soient.

Le drame est que cette façon de voir le fonctionnement de l’économie, donc de la société, est tellement incrusté dans les esprits que l’opinion refuse d’imaginer qu’il puisse en être autrement, alors même que cet “autrement” est devenu non seulement possible, mais vital.

Prenons l’exemple d’un agriculteur : même s’il est conscient des excès de l’industrialisation de l’agriculture, même s’il a senti peser sur lui la pression des banques, celle des marchands d’engrais et celle des acheteurs des grandes surfaces et même s’il n’approuve pas la façon dont sa profession a évolué, il refuse a priori d’être payé pour lui-même, en tant qu’agriculteur qui rend service en exerçant bien un métier apprécié. Ce serait, à ses yeux, lui faire l’injure de le traiter comme un fonctionnaire. Il préfère soit exiger, même avec violence, des mesures pour soutenir les prix, soit s’accommoder des contraintes qui l’obligent”, dit-il, au productivisme.

De même, on pense en général que la paie d’un employé ne peut venir que de son patron et que ce ne peut être que par le marché que celui-ci doit tirer de quoi payer, non seulement ses collaborateurs mais aussi ses fournisseurs, ses actionnaires, ses démarcheurs, ses assureurs, ses banquiers, sans oublier ses impôts pour payer indirectement la police et l’armée afin que l’ordre règne. Cela paraît naturel, alors même que cette organisation n’a commencé qu’il y a environ deux cents ans. Mais cette soumission à une habitude, pourtant discutable, fait de l’entreprise le coeur, l’âme, le grand ordonnateur de la société. La preuve : c’est bien dans cette logique de marché que le produit national est pris pour mesure de la santé d’un pays ; alors qu’en fait, par définition, il mesure celle de ses entreprises, quelle que soit celle de ses habitants !

Et ceci, évidemment, quelle que soit la nature et les retombées des activités de ces entreprises.

 

Alors ne nous étonnons donc pas si l’activité économique s’est détournée de la production de biens vitaux et sains pour s’orienter vers la fabrication de gadgets ou d’armements. En agriculture il y a longtemps que l’abondance a fait tellement baisser les prix du marché que les vrais paysans, ceux qui soignent leurs produits, ne peuvent plus en vivre. Mais tant pis s’il y a en ce beau monde des gens qui ont faim, l’entreprise n’a rien à faire avec des insolvables. L’avenir est donc dans la création de “nouveaux services” (automatisés, merci les nouvelles technologies !) pour des clients intéressants. Comme cette console de jeux vidéo nommée XBox qui, pour le prix de 479 euros (presque 3.150 F !), va enfin permettre aux enfants (de riches) de se distraire ! Vive le marché parce qu’il favorise l’innovation, mais ne cherchons pas à savoir laquelle !

L’avenir est aussi, bien entendu (car ce n’est, hélas, pas nouveau), dans le développement d’armements inédits : le modèle à suivre est celui des États-Unis, ce leader (j’ai failli écrire : ce Führer, en confondant le mot anglais avec le mot allemand) a décidé d’augmenter de 15% son budget militaire, mais cela vaut la peine : il va créer des bombes atomiques géniales : maniables, légères, s’enfonçant avec précision dans le sol, des merveilles d’efficacité pour tuer !

Ceux qui, en songeant à l’aspect social de l’économie, pensent au sort réservé aux chômeurs, disent que l’important, c’est de créer des emplois. Mais peu leur importe pour quoi faire s’ils n’envisagent pas de remettre en cause le principe du marché, et ils affirment encore qu’il n’y a pas de sot métier. De ce point de vue, ces nouveaux développements ont de grandes vertus : la conception de la console XBox a fait “travailler” 2.000 personnes pendant deux ans ! En plus, ils “dynamisent”’économie : la bagatelle de 190 millions d’euros a été consacrée à son budget publicitaire !

S’il est inadmissible de vouloir imaginer une organisation économique qui subsitue à la course au profit personnel une véritable coopération orientée par les besoins de tous, alors il ne faut pas s’étonner en constatant que toute entreprise n’a plus pour seul objectif que faire du profit, puisqu’il est admis que sans celui-ci rien d’autre ne pourrait se faire. Il est naturel que l’être humain soit soumis “aux lois du marché”, puisque c’est d’elles qu’il gagne sa vie. De même qu’il est logique que le rôle de la politique soit d’assurer la prospérité des entreprises, puisque c’est par elle que doit “forcément “ passer celle de tous les citoyens !

 

C’est cette conviction, cette attitude fermée qui donne le pouvoir aux affairistes, et qui, évidemment, l’enlève du même coup aux responsables politiques.

Il est donc complètement absurde de reprocher à ces derniers d’être soumis aux directives du marché. C’est qu’ils sont persuadés, eux aussi, que la prospérité d’un pays passe par celle de ses entreprises ! Quand, il y a seulement trois jours, nos candidats “principaux”, qui parlaient au nom de la France au Sommet européen de Barcelone, ont accepté l’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence, ils ont agi dans l’intention d’aider l’entreprise EDF à conquérir des marchés en Europe, l’accord des autres pays exigeant évidemment cette réciprocité. De même qu’on va ouvrir tous les services publics au privé pour en faire des entreprises rentables qui augmenteront notre produit national... Vive le développement, vive les créations d’emplois, vive la croissance, tout le reste n’est que littérature !

Alors à quoi bon disserter sur tous ces thèmes de campagne électorale que sont précarité, insécurité, délinquances, dégradation de l’environnement, comportements égoïstes, avidité qui pousse jusqu’à la marchandisation du vivant, etc, etc.? Ce sont des effets. Ils dureront autant que leur cause profonde. Or celle-ci se trouve dans le principe du marché libéral dont le mot d’ordre est “laisser faire, laisser passer”. Et parce qu’il s’oppose, par essence, à toute réglementation, il est inutile d’imaginer de nouvelles lois, celles qui existent déjà ne sont pas appliquées. Il en sera ainsi tant qu’on exaltera l’esprit de rivalité, tant que cette foire du chacun pour soi sera soutenue, même inconsciemment, par tous ceux qui considérent comme une utopie à jamais irréalisable l’idée que l’économie puisse résulter d’une association à but non lucratif, dont l’objectif serait tout simplement de mettre en commun les richesses produites en commun.

Il faut choisir parce qu’on ne peut pas à la fois défendre le principe du marché et son contraire, qui est la solidarité.


[1expression qui , d’après le dictionnaire historique Robert, signifie « divaguer, errer ».


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