Ô très chère Croissance…


par  M. DERVIN
Publication : août 2015
Mise en ligne : 9 décembre 2015

Le concours “La parole aux étudiants ” organisé par le Cercle des économistes avait pour thème « Imaginez votre travail demain ! ». La lecture (dans Le Monde du 4 juillet) de la contribution apportée par une étudiante à Sciences Po Rennes, Manon Dervin, nous a bouleversés. Quel bonheur de lire ces réflexions, qui vont parfaitement dans le sens de ce que nous avons toujours soutenu, contre vents et marées ! Présentées par une jeune inconnue qui n’a sans doute jamais lu La Grande Relève, elles témoignent en outre de leur actualité !

Cette “lettre à une croissance que nous n’attendons plus” se situe tellement à l’encontre de tout ce que prônent les organisateurs du concours qu’on se demande vraiment par quel miracle elle a pu être acceptée par ce bastion qui défend tout ce qu’elle démolit !

Pour en juger, en voici des extraits :

Ton dogme fondé sur la valeur centrale du “travail” conditionne encore aujourd’hui toute la vitalité du système économique. Tu fabriques l’Emploi et en tires ta force. Les médias, les politiques et tous les travailleurs retiennent leur souffle. Te chercher a plongé le monde occidental dans une torpeur sans précédent. Une gueule de bois post-crise financière de 2008, soignée à coups de jéroboams de mesures économiques afin de te faire revenir.

Mais aujourd’hui je ne t’attends plus, Croissance. L’âge d’or des “trente glorieuses” est terminé, le réveil est difficile et la situation pas si facile que ça à accepter… Qui es-tu vraiment, Croissance ? …En réalité, tu es un indice mathématique… Tu es une somme de valeurs ajoutées. Mais tu n’as pas tenu compte de mes remarques sur la qualité de tes productions. Tu continues à la fois de construire et détruire des écoles et de faire travailler des enfants dans les usines, de manière arbitraire en fonction des pays.

En réalité, tu es tout un imaginaire. Pour les néolibéraux, tu incarnes le progrès, la modernité, le positif… Pour beaucoup, tu es la solution au plein-emploi. Tu nous as été imposée comme la condition du bien-être des populations, mais tu n’apportes le bonheur qu’à 1% de la population mondiale, c’est-à-dire si peu d’entre nous…

Tu te fondes depuis toujours sur le faux techno­scientisme, l’esprit de concurrence, le devoir de compétitivité, le travail comme valeur centrale fondatrice. Mais j’ai découvert que tes moteurs sont la dette, l’obsolescence programmée et la publicité. Je suis au regret de te dire que tu n’as fait qu’accroître les inégalités. En somme, tu es une illusion… Il n’y a qu’à remarquer le taux de pauvreté record de ta plus fidèle disciple, l’Allemagne.

Je voudrais te dire, Croissance, que j’aspire désormais à la vision cohérente d’une société non violente, sans exploitation de l’homme par l’homme, respectueuse de son environnement, sans obéissance aveugle à la croyance économique, une société de partage qui prône l’économie participative…

Il s’agit de maintenir l’argent comme moyen d’échange… d’accès à un minimum vital nécessaire. Pour autant, faut-il nécessairement occuper un emploi pour avoir le droit de (sur)vivre ? Eh bien non, Croissance. Et je voudrais te le prouver. Je souhaiterais te proposer des “uto-pistes” de transition vers des sociétés soutenables, en redéfinissant la notion d’emploi et sa valeur au sein même de la société.

…Je t’écris pour tous ceux pour qui travailler rime avec nécessité… Je t’écris au nom de tous ceux que tu as réduits à la survie à coups de théories économiques, pour ceux que tu as enchaînés et parfois même rendus amoureux de leur propre servitude.… Je refuse d’accepter que le travail, cette valeur d’intégration sociale qui a forgé ta réputation, devienne aujourd’hui un facteur d’exclusion pour des millions d’entre nous… Plutôt que de persévérer dans des schémas dépassés, plutôt que d’user encore de rustines économiques, j’ai décidé d’ôter mes œillères.

Est-il normal de conditionner la survie à un emploi ? Est-il décent de faire du travail une condition indivisible du droit à la vie ?… Il est de notre devoir de refuser tes référentiels et tes paradigmes qui n’ont aucun sens. Il est de notre devoir de redéfinir la notion d’emploi… Quand tes actionnaires deviennent rentiers par la spéculation sur les produits alimentaires de base en affamant des enfants… est-il indécent de réclamer pour chacun de quoi se nourrir, se loger, et l’accès gratuit à des services publics ? Je souhaite l’instauration d’un revenu universel accordé à chacun, sans condition d’emploi, afin de garantir à tous un minimum vital et une vie décente…

Il s’agit de questionner le sens de nos consommations, et donc de nos productions en participant à la création de gratuités d’usage et de tirage ainsi qu’à une réappropriation de la création monétaire en dehors des logiques de marché… Ces propositions se fondent sur la gratuité des besoins de base, couplée à une forte progressivité des prix pour la consommation supplémentaire. Le redéveloppement des services publics et la création de monnaies locales complémentaires, alliées à un revenu maximum autorisé, constitueraient un outil pour refuser le travail aliénant et redéfinir nos besoins, nos usages et les conditions pour les assouvir… Je souhaite que demain bonheur rime avec temps libre,… travail avec épanouissement et non pas avec contrainte. Je souhaite que demain voie l’avènement d’un monde qualitatif et non quantitatif,… voie la réappropriation de la démocratie à travers une société autonome… Travailler moins pour vivre mieux, pour un meilleur vivre-ensemble… Il est temps de faire du travail en tant qu’activité un outil de repolitisation de la société, incitant le citoyen à s’approprier démocratiquement et de manière participative son contenu : qu’est-ce qu’une vie décente ? Comment organiser la société pour permettre à toutes et à tous de vivre dignement ? Comment se répartir les tâches difficiles ? Nous nous devons de répondre à ces questions collectivement. Après avoir fait du “travail” un pivot central, pourquoi refuser d’en faire un tremplin vers la définition d’une nouvelle société ?

Aujourd’hui, je reprends ma libreté de conscience.


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