Inconsciences ??

Éditorial
par  M.-L. DUBOIN
Publication : juillet 2017
Mise en ligne : 13 novembre 2017

  Sommaire  

Les nouvelles technologies, celles du numérique (accumulation et exploitation d’une immense quantité d’informations – les ”big data”–, réseaux sociaux, objets connectés, intelligence artificielle, intervention sur les génomes, etc…) sont en train de bouleverser l’humanité comme jamais au cours de son histoire… et pour le seul et gigantesque profit financier des entreprises qui les exploitent (les Google, Apple, Facebook, Amazone, Twitter et autres, souvent désignées maintenant par “les GAFA californiennes”). Le processus est simple : quand vous utilisez les services d’un de ces géants de l’informatique, de Google par exemple, vous lui fournissez forcément et gratuitement une foule de données personnelles ; elle les revend, et à prix d’or, à des sociétés qui sont intéressées parce que ces données leur permettent de mieux vous exploiter. Ces entreprises disposent ainsi de bien mieux qu’une mine d’or, qui, comme toute mine naturelle, s’épuise quand on l’exploite : ce qu’elles mettent à profit c’est une ressource virtuelle qui, au contraire, augmente à vitesse exponentielle avec l’accumulation des données informatisées que nous leur offrons…innocemment !

 

Jusqu’où peut aller cette exploitation ?

Hélas, suivant les règles que l’économie classique impose au monde, aucun contrôle, aucune limite, ne peuvent être institués puisqu’il faut “laisser faire le marché” sous prétexte que sa “main invisible” est seule capable, bien mieux que toute loi humaine, d’assurer la prospérité de l’économie, donc la bonne répartition des richesses, l’équilibre, la sécurité, etc., etc., et de façon durable !

…Il y a longtemps que la fausseté de cette croyance est manifeste. Mais elle règne toujours, au point que ce qui passe pour une absurdité c’est oser envisager une alternative à ce fondement de l’économie !

 

Le capitalisme a donc encore “bonne presse” (la sienne, la grande). Mais les experts, les économistes orthodoxes, les politiciens médiatisés et la plupart des journalistes ont beau affirmer qu’il est désormais universel et éternel, il n’empêche que de plus en plus de gens dénoncent les inégalités et les dangers qu’il génère.

Il y en a même qui doutent qu’il soit encore possible que tout le monde puisse gagner son pain à la sueur de son front, tant augmente le nombre de suppressions d’emplois. Au point que l’éventualité d’un revenu universel et inconditionnel est même envisagée !

Mais pour les “accros” dont les bienfaits qu’ils attendent du capitalisme sont infinis, cette idée est totalement farfelue. Ils la voient même subversive et dangereuse : si elle faisait son chemin, ce serait la fin de toute activité ! Ce serait même la fin de tout puisque pour eux le capitalisme n’a pas d’alternative…

Et il est désolant de constater que beaucoup de gens qui se prétendent “vraiment de gauche” rejettent néanmoins cette idée parce que, tout simplement, elle remet en question leur culte de l’emploi salarié qui seul, à leurs yeux, peut donner au travail une “valeur”… Alors, plutôt que d’y songer, plutôt que de réfléchir, par exemple, à une autre façon d’assurer à tous une vraie sécurité sociale, ils préfèrent croire que puisque dans le passé les nouvelles technologies n’ont que momentanément supprimé des emplois avant d’en créer ensuite beaucoup d’autres, c’est forcément ce qui va à nouveau se passer.

Toutes les questions relatives à l’utilité des nouveaux emplois qui pourraient permettre au capitalisme de perdurer sont ainsi ignorées, écartées.

 

Les gestionnaires des grandes multinationales, soucieux de pouvoir assurer à leurs actionnaires les rendements à deux chiffres qu’ils exigent, ont donc le champ libre pour trouver comment utiliser à leurs fins les nouvelles technologies, celles de cette « troisième révolution industrielle » qui bouleverse toutes nos pratiques.

Parmi eux, et se prétendant, bien entendu, “progressistes” et “modernes“, deux courants se pointent : les transhumanistes et les promoteurs de “l’économie collaborative”, que nous désignerons par “collaborativistes”… en prenant garde de ne pas les confondre avec des gens “coopératifs” !!

Les transhumanistes ont le vent en poupe depuis que les généticiens sont capables de modifier l’ADN d’embryons humains  ! Et il s’agit d’une révolution sans précédent : cela signifie qu’il est devenu possible de manipuler à volonté le génome de nos cellules, comme certaines entreprises fabriquent déjà les fameux organismes génétiquement modifiés (OGM) de grains de maïs ou de blé. C’est un accroissement prodigieux du pouvoir de l’homme sur l’homme.

Or il s’est opéré de façon à la fois ultra rapide et… en douce pour ne pas attirer l’attention de l’opinion publique. Celle-ci n’a donc pas pris conscience de son importance, alors que les immenses possibilités ainsi offertes à ceux qui manipulent ce pouvoir appellent, et de toute urgence et au minimum, des mesures de vigilance, de surveillance, voire de régulation. Aucune n’est seulement évoquée, les responsables politiques sont restés murés dans leur ignorance de cette gigantesque révolution en cours, alors que les dangers qu’elle génère sont au moins aussi graves que le réchauffement du climat de la planète…

Pour réussir pareil tour de force, les transhumanistes ont tiré parti de deux atouts majeurs. D’une part le fait qu’il y a parmi eux deux “clans”, dont l’un, celui des “bioconservateurs“, selon le terme de Luc Ferry [*] rassure, il enthousiasme même parce qu’il prétend que la seule finalité de ces recherches et de leurs applications est thérapeutique, que leur objectif n’est que l’amélioration de l’espèce humaine, exclusivement…

Mais le projet de l’autre “clan”, celui des “bioprogressistes” va bien plus loin : pour Ray Kurzweil, le patron de l’Université de la Singularité” (un de leurs centres de recherche, financé par Google dans la Silicon Valley) il s’agit d’une hybridation homme/machine. En un mot de sortir de l’humanité en créant une espèce nouvelle dont tout ce qui ressort de l’esprit (mémoire, émotions, intelligence) serait stocké sur des supports matériels spéciaux grâce à des implants cérébraux.

Cette posthumanité dotée d’intelligence artificielle l’emporterait vite sur les êtres biologiques qu’elle saurait soumettre, puis faire disparaître.

Or c’est en milliards de dollars que se chiffrent les moyens dont disposent librement ces chercheurs.

Alors faut-il les laisser faire, encore et toujours laisser faire la main invisible du marché ?

 

L’économie selon les collaborativistes (dont traite plus loin l’article de Guy Evrard) est déjà en pratique. La France l’a découverte avec ses applications telles que Uber, vente-privee.com, Airbnb, BlaBlaCar etc. Elles concurrencent taxis, locations d’appartements, hôtels, agences de voyage et bien d’autres commerces. Cette “uberisation” s’appuyant, comme le transhumanisme, sur les pouvoirs ouverts par les technologies du numérique, s’étend déjà dans le monde entier : il s’en crée des milliers chaque année. Ses conséquences bouleversent tellement l’emploi qu’elles devraient tout de même faire réfléchir  ! Dans le monde “uberisé”, chacun devient son propre entrepreneur et doit par conséquent posséder et entretenir ses outils, par exemple sa voiture. Chacun et chacune travaille au gré des occasions d’activité que peut lui permettre une entreprise informatique avec laquelle il (ou elle) est lié(e) par un contrat, qui l’oblige à rémunérer, et largement, cette entreprise “pilote”. Celle-ci a donc intérêt à faire travailler en priorité les plus performants. C’est le meilleur qui gagne, en toute logique ! Chacun « s’assume », autrement dit se débrouille. Vive la liberté  ! Chacun est libre de cotiser à l’assurance de son choix, de préparer sa retraite, etc, selon ses propres moyens.

Dans ces conditions, le code du travail n’a plus de raison d’être, et Emmanuel Macron, en plus expéditif que ses prédécesseurs, est donc bien dans le vent de l’Histoire. Il est tellement en phase avec cette évolution qu’une parole significative de sa pensée lui a récemment échappée  : parlant d’une gare, il l’a définie comme « un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien ».

Que peut-on espérer d’un chef pour qui certains de ses sujets ne SONT RIEN ? France, ce n’est pas seulement ton café “qui fout le camp” !

L’avenir de l’humanité est en jeu.

Tel est l’aboutissement logique de cette société basée sur la compétition, et non pas sur la coopération comme nous le proposons avec l’économie distributive.


[*dans La révolution transhumaniste. Comment la technomédecine et l’uberisation du monde vont bouleverser nos vies paru chez Plon en 2016.


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